Cette race sauhadjienne fonda un puissant empire en Maghreb et en Espagne; puis, elle étendit sa domination jusqu'à l'Ifrîkïa. Nous allons maintenant en raconter l'histoire par ordre chronologique. HISTOIRE DES ALMORAVIDES LEMTOUNIENS ET DE L'EMPIRE QU'ILS FONDÈRENT EN ESPAGNE ET EN AFRIQUE. Les Lemtouna, un des peuples qui portaient le litham, habitaient le Désert et professaient le magisme (l'idolatrie, le fétichisme); mais, dans le troisième siècle de l'hégire, ils embrassèrent la foi islamique. Ayant alors fait la guerre aux peuples nègres, leurs voisins, pour les contraindre à adopter la vraie religion, ils parvinrent à les soumettre et à fonder un puissant empire. Plus tard, de graves dissensions éclatèrent dans le sein de cette confédération, et chaque tribu qui en faisait partie reconnut l'autorité d'un chef différent. Les Lemtouna prirent le leur dans la famille d'Ourtantac, fils de Mansour, fils de Messala, fils de Mansour, fils de Messala, fils d'Amît, fils de Ouatmal, fils de Telmit surnommé Lemtouna. Yahya-Ibn-Ibrahim, membre de la tribu de Guedala (elGueduli), ayant ensuite obtenu le commandement de celle de Lemtouna, s'allia par un mariage à la famille d'Ourtantac, dont il releva ainsi l'influence tout en en augmentant la sienne. En l'an 440 (1048-9), il accomplit le pelerinage de la Mecque où il s'était fait accompagner par les principaux chefs de la nation, et, en revenant dans son pays, il rencontra, à Cairouan, le savant docteur du rite maléki, Abou-Amran-el-Façi [natif de Fez]. Ayant écouté, lui et ses compagnons, les conseils de cet homme religieux, et recueilli de sa bouche les maximes du droit qui énoncent les devoirs de chaque musulman comme individu, ils le prièrent de leur confier un de ses élèves, afin d'avoir auprès d'eux une personne capable de les diriger dans toutes les eirconstances graves qui pourraient leur arriver et dans les affaires qui touchent à la religion. Mu par le désir de communiquer la connaissance du bien à des gens qui montraient une telle envie de s'instruire, Abou-Amran demanda à ses disciples s'il y en avait un parmi eux qui voulût accompagner ces voyageurs, et, les voyant effrayés de la perspective des privations qu'ils auraient à subir dans le Désert, il donna à ses visiteurs une lettre pour un autre jurisconsulte de ses élèves, nommé MohammedOu-Aggag -Ibn-Zellou, membre de la tribu de Lamta et domicilié à Sidjilmessa. Dans cet écrit, il engagea son ancien disciple à leur procurer un homme d'une piété et d'un savoir éprouvés, qui serait capable de supporter les privations inséparables d'un séjour dans le pays des Lemtouna. Abd-Allah-Ibn-Yacîn 2 -IbaMeggou-el-Guezouli, la personne qu'Ou-Aggag fit partir avec eux, commença aussitôt à leur enseigner le Coran et les pratiques de la religion. A la mort de Yahya-Ibn-Ibrahim, de nouvelles dissensions éclatèrent parmi les Lemtouna; on se révolta même contre IbnYaçîn à cause des devoirs pénibles que sa doctrine leur imposait. Repoussé par eux, il s'éloigna avec l'intention d'embrasser la vie ascétique. Ayant obtenu l'adhésion de deux frères, nommés, l'un, Abou-Bekr, et l'autre, Yahya-Ibn-Omar-Ibn-Telagaguîn, chefs lemtouniens, il les emmena loin de la société des hommes et s'établit avec eux sur une colline entourée des eaux du Nil 3. Pendant l'été, un courant peu profond séparait cet endroit du rivage, mais, dans la saison des pluies, quand les eaux se gonflaient, le même lieu formaient plusieurs îlots. Ils pénétrèrent 1 Quaggag en berbère paraît signifier fils d'Aggag. La 36 sourate du Coran commence par un mot cabalistique composé des lettres ya et sin (is), el qui, pour cette raison, s'appelle la sourate du Yacin. L'emploi de ce mot comme nom propre d'homme est assez rare. 3 L'on sait que les géographes arabes représentaient le Nil des Noirs, ou Niger, comme se dirigeant de l'est à l'ouest pour se jeter dans l'Atlantique. Selon eux, le Sénégal était la partie inférieure du Nîl. • Voici comment l'auteur du Cartas décrit cet endroit : « Une île ⚫ dans la mer; lors de la basse marée, on pouvait y aller à pied, mais, au milieu des broussailles dont cette colline était couverte, et, s'y étant installés, chacun de son côté, ils se livrèrent aux pratiques de la dévotion. Le bruit de leur conduite se répandit au loin, et tous ceux qui portaient dans leurs cœurs les moindres semences de la vertu embrassèrent leurs croyances et s'associèrent à leurs exercices pieux. Mille individus de la tribu de Lemtouna les avaient déjà joints, quand leur cheikh, Ibn-Yacin, leur adressa ces paroles : « Mille hommes ne se laissent pas facilement vaincre; aussi >> devons-nous maintenant travailler à maintenir la vérité et à » contraindre, s'il le faut, tout le monde à la reconnaître. Sor>> tons d'ici et remplissons la tâche qui nous est imposée. » Ayant alors attaqué les tribus lemtouniennes, guedaliennes et messoufites qui refusaient de les écouter, ils les forcèrent à rentrer dans la bonne voie et à embrasser la vraie religion. IbnYacîn autorisa ses disciples à prélever la dîme sur les biens des musulmans, et, leur ayant donné le nom d'Almoravides, il les plaça sous les ordres de l'émir Yahya-Ibn-Omar. Conduits par ce chef, les Almoravides traversèrent les sables du Désert et allèrent percevoir la dîme dans les territoires du Derâ et de Sidjilmessa. Après leur retour, ils reçurent d'Ou-Aggag-el-Lamti (de la tribu de Lamta) une lettre dans laquelle il se plaignait de l'état de misère auquel les musulmans de son pays avaient été réduits par la tyrannie des Beni-Ouanoudîn, émirs de Sidjil > au temps de la haute marée, on s'y rendait en bateau. Elle renfermait » des arbres de la même espèce que ceux du continent, du gibier de > terre et de mer, tel qu'oiseaux, quadrupèdes et poissons. » — IbnKhaldoun me paraît avoir raison quand il place cette île dans la rivière du Sénégal. L'on sait que ce fleuve continua, pendant longtemps, à séparer la race berbère de la race noire. En l'an 1446, quand les Portugais faisaient leurs premières explorations de la côte occidentale de l'Afrique, les tribus des Assanhagi (Zanaga, Sanhadja) habitaient la rive. septentrionale du Sénégal, et les Yalof ou Wolof, c'est-à-dire les Noirs, en occupaient l'autre. Nous devons faire observer que Sénégal est une altération du mot Asnaguen ou Zenaguen, pluriel de Zanag, c'està-dire Sanhadja. 4 En arabe: Al-Morabetin. Voy. pour la signification de ce mot, t. 1, p. 83, n. 2. 1 messa et membres de la tribu des Maghraoua. Il les supplia, en conséquence, de porter remède aux maux qui affligeaient ses coréligionnaires. Pour répondre à cette invitation, un corps nombreux d'Almoravides, montés, presque tous, sur des chameaux mehari, quitta le Désert, en l'an 445 (4053-4), et se porta sur le Derà. Leur but était d'enlever un troupeau d'environ cinquante mille chameaux qui se trouvaient dans le parc du gouvernement. Masoud-Ibn-Ouanoudîn, émir des Maghraoua et souverain de Sidjilmessa, marcha à leur rencontre afin de sauver ses chameaux et de protéger ses états. Un combat s'ensuivit dans lequel ce chef perdit la vie; ses troupes furent taillées en pièces; leurs richesses, leurs armes, leurs montures et les chameaux du parc devinrent la proie des Almoravides. Les vainqueurs marchèrent alors sur Sidjilmessa, y pénétrèrent de vive force et massacrérent les débris de l'armée maghraouienne qui s'y étaient réfugiés. Ayant ensuite rétabli l'ordre dans le pays, en faisant disparaître les abus qui choquaient la religion et en supprimant les contributions illégales, telles que les magharem et les mokous, ils Voy. t. m, chapitre sur les Beni-Khazroun, rois de Sidjilmessa. • Mehari est le pluriel de mohria, mot qui désigne un chameau de belle race, d'une marche très-rapide et capable de supporter les fatigues d'une longue course dans le Désert. Mohria dérive de Mohra, nom d'un chef arabe qui fut le premier à élever cette espèce de chameau. Selon le Camous, Mohra était fils de Haîdan. Quant aux mehari, le nom et la chose sont bien connus en Algérie. 3 Mokous, pluriel de meks, sont les droits de marché et de transit. Magharem, pluriel de maghrem, sont toutes les taxes el contributions qui ne sont pas autorisées par la loi divine. Les Mokous sont des magharem; aussi Ibn-Khaldoun aurait-il dû écrire : les mokous et autres magharem. Ce dernier mot, sous la forme gharama, est employé en Afrique pour désigner toutes les taxes imposées par le gouvernement. Dans les premiers siècles de l'islamisme, les musulmans payaient la dîme; mais toutes les terres qui avaient appartenu aux chrétiens étaient soumises au kharadj. Le besoin d'argent porta ensuite les souverains de ce pays à substituer la zouidja à la dîme (Voy. t. 1, p. 404, note) et à introduire de nouvelles impositions dont aucune n'était autorisée par le Coran. Les dévots et les contribuables crièrent au scandale, mais ils finirent par s'y habituer et par payer. reprirent le chemin du Désert. Avant de partir, ils prélevèrent la dime partout et confièrent le gouvernement du pays à des officiers de leur propre nation. Yahya-Ibn-Omar mourut en 447 (1055-6), après avoir choisi pour successeur son frère, Abou-Bekr. Le nouveau chef appela les Almoravides à la conquête du Maghreb, et, en l'an 448, il envahit le pays de Sous et occupa Massa, Taroudant et toutes les autres forteresses de cette province. L'année suivante, il s'empara d'Aghmat et força Laghout-Ibn-Youçof-Ibn-Ali, le maghraouien, à se réfugier auprès des Beni-Ifren à Tedla. En 450 (1058), les Almoravides pénétrèrent dans les montagnes de Deren (l'Atlus), chez les Masmouda, et, après avoir visité tous les recoins de cette région, ils envahirent [la province de] Tedla et y firent de grands ravages. Les Beni-Ifren, princes de ce pays, perdirent la vie, et Laghout, seigneur d'Aghmat, mourut avec eux. Zeinab la nefzaouienne, fille d'Ishac-en-Nefzaoui et veuve de Laghout, devint alors l'épouse d'Abou-Bekr-Ibn-Omar. Egalement distinguée par sa beauté et par son habileté politique, cette femme avait été concnbine de Youçof-Ibn-Ali-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-Ouatas avant son mariage avec Laghout. Pendant la domination des Aimgharen1 dans le pays des Masmouda, ce Youçof fut cheikh des Ourîka, des Hezerdja et des Hîlana. Quand les Beni-Ifren domptèrent les Ourîka et s'emparèrent d'Aghmat, Zeinab devint la femme de Laghout. Ensuite, elle épousa AbouBekr-Ibn-Omar. Les Almoravides, encouragés par leur chef, entreprirent ensuite la guerre sainte contre les Berghouata, peuple qui habitait Anfa, le Temsa et le littoral occidental du pays. En l'an 450, dans une des rencontres qui eurent lieu entre les deux peuples, Abd-Allah-Ibn-Yacîn perdit la vie. Les Almoravides firent alors choix de Soleiman-Ibn-Addou pour directeur spirituel, et conservèrent à Abou-Bekr-Ibn-Omar les fonctions de commandant militaire. Cet émir continua la guerre contre les Berghouata jus 4 Aimgharen est le pluriel berbère de Maghra, en arabe Maghraoua. |