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IBN-MOZNI PROCLAME LA SOUVERAINETE DE YAHYA

IBN-KHALED.

Yahya-Ibn-Khaled, petit-fils du sultan Abou-Ishac, vivait à la cour d'Abou-'l-Baca; mais, étant tombé en disgrâce à cause de sa conduite imprudente, il crut éviter la colère du sultan en se réfugiant auprès de Mansour-Ibn-[Fadl-Ibn-]Mozni, [à Biskera]. Mansour, étant alors en mauvaise intelligence avec Ibn-Ghamr, consentit à soutenir les prétentions de son hôte et à lui servir de ministre; puis, ayant rassemblé ses Arabes, il alla faire des courses sur le territoire de Constantine, ville qui était alors gouvernée par Ibn-Tofeil. Une foule de vagabonds se mirent alors aux ordres de Yahya et captèrent sa confiance au point d'obtenir de lui la promesse qu'aussitôt maître du trône, il les débarasserait de Mansour. Celui-ci ayant découvert les mauvaises intentions du prince et des gens qui l'entouraient, cessa de le soutenir et rentra dans Biskera. Les bandes de Yahya se dispersèrent, et Mansour, ayant fait sa soumission, reprit sa place à côté du chambellan [tbn-Ghamr] et des favoris du sultan.

Yahya se rendit à Tlemcen pour y chercher des secours et descendit chez le sultan Abou-Zîan-Mohammed, fils d'Othman et petit-fils de Yaghmoracen. Quelques jours après son arrivée, Abou-Zian mourut et son frère, Abou-Hammou, monta sur le trône. Avec les troupes fournies par ce prince, Yahya-IbnKhaled alla assiéger Constantine, mais il y trouva une résistance qui déjoua tous ses efforts. S'étant ensuite rendu à Biskera, sur l'invitation d'Ibn-Mozni, il se fixa chez cet émir qui lui assigna une forte pension et une garde pour le surveiller. [Plus tard,] Ibn-el-Lihyani, sultan de Tunis, envoya un riche cadeau à Ibn-Mozni dans le but de s'assurer les bonnes dispositions d'un chef qui, à chaque instant, pouvait lui susciter un rival. Il lui concéda même plusieurs villages aux environs de Tunis, lesquels appartiennent encore à la famille Mozni. Yahya-Ibn-Khaled passa le reste de ses jours en détention chez Ibn-Mozni et mourut en l'an 721 (1321).

LE CHAMBELLAN IBN-GHAMR PROCLAME LA SOUVERAINETÉ D'ABOU-YAHYAABOU-BEKR A CONSTANTINE.

Au moment de partir pour Tunis, le sultan Abou-'l-Baca confia le gouvernement de Bougie à Abd-er-Rahman-Ibn-Yacoub1Ibn-Khalouf, surnommé El-Mizouar, en lui conservant aussi le commandement des Sanhadja. En ceci, il se conforma à l'usage établi par ses prédécesseurs qui laissaient toujours le père d'Abd-er-Rahman à Bougie comme leur lieutenant, chaque fois qu'ils se mettaient en campagne. Abd-er-Rahman, qui était alors à Constantine, où le sultan l'avait envoyé pour remplir les fonctions de chambellan auprès de l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr, quitta aussitôt cette ville et se rendit à Bougie.

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Abou-l-Baca, après avoir établi le siége de son autorité à Tunis, s'abandonna aux plaisirs et se laissa emporter par son caractère violent et sanguinaire. Adouan-Ibn-Mehdi, personnage marquant de la tribu des Sedouîkîch, fut mis à mort par son ordre et le même sort atteignit Daar-Ibn-Djerîr de la tribu des Athbedj. Les grands officiers de l'empire, effrayés pour euxmêmes, se communiquèrent leurs appréhensions, et deux d'entre eux, le chambellan [Abou-Abd-er-Rahman-] Ibn-Ghamr et son collègue Mansour-Ibn-Fadl-Ibn-Mozni, gouverneur du Zab, concertèrent un plan pour se soustraire au pouvoir du sultan.

Pour effectuer leur projet, il fallut commencer par donner quelque sujet de mécontentement à Rached-Ibn-Mohammed, émir maghraouien [afin de l'éloigner de la cour]. Ce chef s'était attaché au service des princes de Bougie depuis la conquête de son pays par les Beni-Abd-el-Ouad, et, comme on le traitait avec les plus grands égards, il les accompagnait dans leurs expéditions militaires et, à la tête des Maghraouiens qui s'étaient attachés à sa fortune, il avait presque toujours eu l'occasion d'y soutenir tout le poids de la guerre. Quand le sultan se rendit à Tunis, il le suivit en qualité d'émir des Zénata.

1 Ailleurs, ce nom est écrit Abou-Abd-er-Rahman-Yacoub.

2 Variante: Hariz.

T. H.

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Un de ses gens, ayant été cité devant le tribunal du chambellan sur la plainte d'un domestique du palais, fut puni de mort, séance tenante, par l'ordre de ce fonctionnaire. Rached fut tellement indigné de ce manque d'égards qu'il fit ployer ses tentes à l'instant même et s'en alla. Ce fut ainsi que le chambellan s'y prit pour faire réussir son projet. Le résultat fut tel qu'il l'avait espéré le sultan, sachant que Rached était intimement lié avec Abd-er-Rahman-Ibn-Khalouf, conçut des inquiétudes pour la sûreté de la ville et de la province de Bougie. Le chambellan, qu'il consulta à ce sujet, fut d'avis d'y dépêcher Mansour-Ibn-Mozni, et celui-ci, de son côté, proposa le chambellan pour cette mission. Pendant plusieurs jours, ils se renvoyèrent mutuellement la tâche que le sultan voulait leur confier, jusqu'à ce qu'enfin ce prince prit le parti de les y envoyer tous les deux. Le chambellan obtint alors qu'Abou-Yahya-Abou-Bekr, frère du sultan, fût nommé gouverneur de Constantine et qu'il eût lui-même pour lieutenant, à Tunis, son propre cousin, Ali-Ibn-Ghamr. Ayant alors quitté la capitale, il se rendit à Constantine, pendant que Mansour-IbnMozni s'en alla chez lui, dans le Zab. Plus loin, nous parlerons de la révolte de celui-ci.

Ibn-Ghamr, étant entré au service du prince Abou-YahyaAbou-Bekr, en qualité de chambellan, lui proposa de se révolter contre le sultan, son frère. Quelques indices de leurs intentions éveillèrent les soupçons d'Abou-'l-Baca et lui donnèrent tant d'inquiétudes que le vice-chambellan, Ali-Ibn-Ghamr, s'en aperçut et courut se réfugier dans Constantine. Alors, le sultan plaça son affranchi, Dafer-el-Kebîr, à la tête d'une armée et l'envoya contre cette ville. Nous raconterons plus loin comment ce général s'arrêta à Bédja et ce qui lui arriva.

Quant à Ibn-Ghamr, le chambellan, il se mit en révolte ouverte, et, ayant fait appeler notre seigneur, le prince Abou-Yahya-AbouBekr, il le présenta au peuple et le fit proclamer souverain. Ceci se passa en l'an 711 (4311-2). Le nouveau sultan prit le titre d'ElMotewekkel (qui met sa confiance en Dieu) et dressa son camp en dehors de la ville de Constantine. Il y était encore, quand on vint lui annoncer qu'Ibn-Khalouf s'était déclaré contre lui.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-ABOU-BEKR S'EMPARE DE Bougie.
MACHINATION QUI AMÈNE LA MORT D'IBN-KHALOUF.

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Yacoub-Ibn-el-Khalouf, surnommé Abou-Abd-er-Rahman, était chef de cette population sanhadjienne qui formait la milice du sultan et qui habitait la province de Bougie. Il jouissait d'une grande considération à la cour et s'était distingué par l'importance de ses services militaires. En l'an 703 (1303-4), quand l'armée mérinide, sous les ordres d'Abou-Yahya, fils de Yacoub-IbnAbd-el-Hack, vint prendre position contre Bougie, il lui livra plusieurs combats qui établirent sa réputation comme vaillant capitaine. L'émir Abou-Zékérïa et son fils le laissèrent à Bougie comme leur lieutenant toutes les fois qu'ils allèrent à la guerre. On le désignait ordinairement par le titre d'El-Mizouar1. Quand il mourut, son fils, Abd-er-Rahman, hérita de son autorité, et, en l'an 709, lors de l'expédition du sultan Abou-'l-Baca contre Tunis, il resta à Bougie comme lieutenant de ce prince. C'était un homme opiniâtre, ambitieux, fier de sa puissance, de sa tribu et de sa haute position à la cour.

Abou-Abd-el-Rahman-Ibn-Ghamr ayant proclamé la souveraineté d'Abou-Yahya-Abou-Bekr, invita Ibn-Khalouf à faire reconnaître l'autorité du nouveau sultan par les habitants de la province de Bougie. Malgré les instances les plus pressantes, ce chef resta fidèle au sultan de Tunis, car il voyait avec une jalousie extrême la haute position à laquelle Ibn-Ghamr venait d'atteindre. Bien plus, il rassembla un corps de troupes, fit arrêter le ministre des finances, Abd-el-Ouahed, fils du cadi Abou-'l-Abbas-elGhomari, et le directeur de la douane, Mohammed-Ibn-Yahyael-Caloun, créature d'Ibn-Ghamr.

El-Caloun était natif d'Alméria, et, lors du passage d'Ibn

↑ Le mizouar, ou huissier en chef, se tenait à la porte du palais; il introduisait les visiteurs, infligeait aux condamnés les punitions ordonnées par le sultan et gardait, dans des prisons à lui, les gens dont son maître avait autorisé l'arrestation.

Ghamr par cette ville, il avait eu occasion de lui rendre des services importants. Celui-ci, étant parvenu au ministère à Bougie, reçut la visite de son hôte andalousien et lui témoigna sa reconnaissance en l'admettant dans son intimité et en l'introduisant dans la carrière des emplois. Ce fut ainsi qu'El-Caloun passa par l'administration des impôts à la direction générale de la douane.

Ibn-el-Khalouf, ayant rassemblé des troupes et emprisonné ces deux fonctionnaires, fit proclamer [son intention de soutenir] la cause du sultan Abou-l-Baca. Bientôt après, le sultan AbouYahya-Abou-Bekr quitta sa position dans le voisinage de Constantine et, à la suite d'une marche très-rapide, il occupa la colline qui domine Bougie. Un combat s'ensuivit et dura toute la' journée. Le lendemain, Ibn-el-Khalouf entra en négociation avec le sultan et demanda [comme prix de sa soumission] la destitution d'Ibn-Ghamr. Une condition aussi importante donna lieu à plusieurs messages entre les deux partis et, pendant cette correspondance, le vizir [de Constantine], Abou-Zékérïa-Ibn-Abi-'lAlam, qui était gendre d'Ibn-el-Khalouf, travailla avec ardeur pour l'amener à un arrangement. Quand ce ministre vint annoncer que la condition proposée ne serait pas acceptée, Ibn-elKhalouf l'empêcha de s'en retourner anprès du sultan et le retint prisonnier dans son hôtel.

Le désordre se mit alors dans le camp d'Abou-Yahya-AbouBekr, dont l'armée craignait de se mesurer avec les Sanhadja et leurs alliés, les Maghraoua, gens de cœur et de courage, aussi nombreux que braves. Le sultan lui-même s'enfuit en abandonnant le camp au pillage; ses équipages furent pris et le ramassis de gens qui l'avaient accompagné furent tous dévalisés. Rentré à Constantine avec les débris de son armée, il s'y vit bientôt attaqué par les troupes qu'Ibn-el-Khalouf avait envoyées à sa poursuite et qui venaient d'emporter d'assaut la ville de Mîla; mais, au bout de quelques jours, les assiégeants reprirent la route de Bougie.

1 Voy. p. 422 de ce volume.

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