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refusant l'entrée de la ville, lui fit porter des vivres '. De là, il se dirigea sur Bougie où nous le retrouverons bientôt.

Après le départ du sultan, le prétendant fit son entrée à Tunis. Il prit alors pour vizir Mouça-Ibn-Yacîn, et donna la place de chambellan à Abou-'l-Cacem-Ahmed-Ibn-es-Cheikh. Ensuite, il ordonna l'arrestation du ministre des finances, AbouBekr-Ibn-el-Hacen-Ibn-Khaldoun, et après lui avoir confisqué ses biens et arraché toutes ses richesses par l'emploi de la torture, il le fit étrangler. La perception des revenus, devenue vacante de cette manière, fut confiée à Abd-el-Mélek-IbnMekki, seigneur de Cabes.

Le prétendant, après avoir pris les titres et emblèmes de la souveraineté, distribua les grands emplois de l'empire à ses courtisans et s'occupa d'une expédition contre Bougie.

L'ÉMIR ABOU-FARES USURPE LE POUVOIR SOUVERAIN A BOUGIE AUSSITÔT APRÈS L'ARRIVÉE DE SON PÈRE.

Le sultan Abou-Ishac, chassé de sa capitale et dépouillé du prestige de la royauté, arriva à Bougie dans le mois de Dou-'l-Câda 684 (février 1283). Repoussé du palais par son fils, l'émir Abou-Fares, il dut aller s'installer dans le jardin appelé Raud-er-Refiâ, et, cédant aux injonctions de ce fils ingrat, il abdiqua le pouvoir en la présence des officiers almohades et des cheikhs de Bougie. Abou-Fares lui assigna alors pour logement le château de l'Etoile, prit lui-même l'autorité suprême avec le surnom d'El-Motamed-ala-'llah (qui s'appuie sur Dieu), et reçut des habitants de la ville le serment de fidélité. Cette usurpation s'accomplit le dernier jour de Dou-'l-Câda 684 (2 mars 1283). S'étant ensuite adressé à ses alliés, les Rîah et les Sedouîkich, il les appela aux armes, laissa son frère,

1 Le texte arabe peut signifier aussi : quelques-uns des villages lui présentèrent des vivres.

l'émir Abou-Zékérïa, à Bougie en qualité de lieutenant, et marcha contre le prétendant, emmenant avec lui ses autres frères et son oncle, l'émir Abou-Hafs.

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MORT D'ABOU-FARES ET DE SES FRÈRES. MORT D'ABOU-ISHAC ET FUITE D'ABOU-ZÉKÉRĨA A TLEMCEN.

Quand le prétendant eut appris l'usurpation d'Abou-Fares et ses préparatifs hostiies, il fit emprisonner tous les membres de la famille hafside [qui se trouvaient à Tunis], après avoir eu d'abord l'intention de les faire mourir. Dans le mois de Safer 682 (mai 4283), il quitta la capitale avec les troupes almohades et les divers corps de la milice. Le trois de Rebiâ premier (1er juin), il rencontra l'armée d'Abou-Fares à Mermadjenna et, à la suite d'un combat qui dura toute la journée, il la mit en pleine déroute. Abou-Fares lui-même fut lâchement abandonné par ses alliés et mourut les armes à la main. Son camp tomba au pouvoir des vainqueurs, et ses frères furent faits prisonniers et massacrés de sang-froid. L'un, Abd-el-Ouahed, mourut de la main du prétendant; les autres, Omar et Khaled, ainsi que Mohammed, fils d'Abd-el-Ouahed, périrent également. Leurs têtes furent envoyées à Tunis et plantées sur les murailles de la ville, après avoir été portées sur des piques à travers les rues. L'émir AbouHafs, oncle d'Abou-Fares, parvint à s'échapper, ainsi que nous le raconterons plus loin.

Quand la nouvelle de ce désastre fut connue à Bougie, une vive agitation s'y déclara, et le tumulte devint extrême. Le cadi de la ville, Abou-Mohammed-Abd-el-Monem-Ibn-Atîc-el-Djezaïri, convoqua les habitants afin de conférer avec eux sur la situation des affaires, mais on s'émeuta contre lui et on massacra son fils qui avait osé leur adresser une réprimande. AbouMohammed, embarqué de force, fut renvoyé à Alger, sa ville natale, et le sultan Abou-Ishac partit pour Tlemcen avec son fils, l'émir Abou-Zékérïa. Le peuple prit alors pour chef Mo

hammed-Ibn-Israghîn et le chargea de commander au nom du prétendant. Cet homme se mit anssitôt à la poursuite du sultan et l'arrêta dans la montagne des Beni-Ghobrîn, tribu zouaouienne; mais l'émir Abou-Zékérïa réussit à atteindre Tlemcen. Abou-Ishac fut emprisonné à Bougie en attendant des ordres de Tunis, et le prétendant ayant envoyé Mohammed, fils d'EïçaIbn-Dawoud, pour le faire mourir, il fut exécuté vers la fin du mois de Rebiâ premier 682 (fin de juin 1283).

L'ÉMIR ABOU-HAFS REPARAIT ET SE FAIT PROCLAMER SULTAN.
SUITES DE CET ÉVÉNEMENT.

L'émir Abou-Hafs, qui avait assisté à la bataille de Mermadjenna, ainsi que nous l'avons dit, eut le bonheur d'échapper au sort qui frappa ses neveux. Il se sauva à pied de ce lieu fatal et se dirigea vers Calat-Sinan, forteresse appartenant aux Hoouara et située dans le voisinage du champ de bataille. Dans sa fuite, il fut rejoint par trois fidèles serviteurs de la famille hafside, Abou-'l-Hocein, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Séïd-en-Nas, Mohammed, fils d'El-Cacem-Ibn-Idris-el-Fazazi, et Mohammed, fils d'AbouBekr-Ibn-Khaldoun et grand'-père de l'auteur de ce livre. Comme le prince était accablé de fatigue, ils le portèrent alternativement sur leurs dos jusqu'à Calat-Sinan, et là ils trouvèrent un asile. Cette évasion fut si extraordinaire qu'elle devint le sujet de toutes les conversations.

Bientôt le prétendant indisposa les Arabes par l'extrême sévérité des mesures qu'il employa à leur égard. Le jour même de sa rentrée [à Tunis], il fit mourir et mettre en croix trois Arabes accusés d'actes de brigandage, et, d'après les conseils d'Abd-elHack-Ibn-Tafraguîn, grand officier almohade, il résolut de se

1 Variante: Asrain.

2 Le pays des Beni-Ghobrîn ou Robri est à quatre lieues S. S. O. de Zeffoun et à onze ou douze lieues O. de Bougie, en ligne droite.

débarrasser de tous et les fit tuer partout où on pouvait les rencontrer. Quatre-vingts cheikhs des Beni-Allac furent jetés dans ses prisons; toutes les populations arabes furent en butte à sa tyrannie et attendirent impatiemment le moment de la vengeance. Elles se mirent à la recherche d'un prince de la famille hafside, afin de l'opposer à l'usurpateur; et, ayant appris que l'émir Abou-Hafs se trouvait à Calat-Sinan, elles allèrent le voir et le proclamer sultan. Ce fut dans le mois de Rebiâ [premier] de l'an 683 (mai-juin 1284) qu'elles lui prêtèrent le serment de fidélité et lui fournirent des tentes et des armes. Leur émir, Abou-'lLeil-Ibn-Ahmed, se mit à la tête du mouvement.

Cette nouvelle inspira au prétendant l'idée que les grands officiers de l'empire voulaient le trahir. Emporté par ses soupçons, il fit arrêter Abou-Amran-Ibn-Yacîn, premier ministre de l'empire, Abou-'l-Hacen - Ibn-Yacîn, Ibn-Ouanoudin et ElHocein-Ibn-Abd-er-Rahman, chef zenatien. Après avoir fait mettre tous ces prisonniers à la question, il ordonna leur mort et la confiscation de leurs biens. Ces exécutions remplirent de tristesse tout le monde et contribuèrent à ébranler la fortune du faux khalife.

ABOU-HAFS S'EMPARE DU ROYAUME.
PRETENDANT.

-

PRISE ET MORT DU

L'apparition d'Abou-Hafs et la reconnaissance de sa souveraineté par les Arabes excitèrent une profonde sensation dans la capitale et lui attirèrent une foule de partisans. Le prétendant, après avoir fait tomber sa colère sur les grands fonctionnaires de l'empire et suscité coutre lui-même la haine du peuple entier, sortit de Tunis pour combattre ce nouvel adversaire; mais il dut y rentrer en toute hâte à cause de l'insubordination de ses troupes. Les provinces se déclarèrent alors pour le sultan AbouHafs, et, bientôt, ce prince lui-même vint camper à Sidjoum, près de la capitale. L'armée du prétendant était postée sous les murailles de la ville et résistait vigoureusement pendant quelques jours; mais, à chaque instant, le mystère qui entoura l'origine

Ja

de cet homme s'éclaircissait davantage, et, enfin, la fausseté de ses prétentions devint tellement évidente que tous ses partisans finirent par le renier et l'abandonner. Forcé de quitter le camp, il courut se cacher dans Tunis, et le sultan y fit son entrée, au mois de Rebiâ second 683 (juin-juillet 1284). Sa présence purifia le trône impérial et dissipa les souillures de l'usurpation.

Le prétendant chercha vainement à se confondre avec la foule afin de s'échapper inaperçu : quelques jours après l'arrivée du sultan, on découvrit que ce misérable s'était réfugié dans la maison d'un homme du peuple, appelé Abou-'l-Cacem-el-Carmadi. A l'instant même, la maison fut abattue et l'imposteur traîné devant le sultan. Accablé d'invectives par ce prince et interrogé en la présence des grands de l'empire, il avoua son imposture et fut mis à mort après avoir subi toutes les tortures que des hommes sans miséricorde étaient capables d'infliger. Son cadavre fut traîné dans les rues et sa tête plantée sur une perche. Ce fut Abd-Allah-Ibn-Yaghmor qui présida à l'exécution de cet imposteur dont les aventures offrent un si étrange exemple des vicissitudes de la fortune.

Le sultan Abou-Hafs, devenu maître de l'empire, prit le titre d'El-Mostancer-Billah. Partout l'on se hâta de reconnaître son autorité; les villes les plus éloignées, Tripoli, Tlemcen et les lieux intermédiaires, lui envoyèrent des adresses d'hommage et de fidélité. Au cheikh Abou-Abd-Allah-el-Fezazi il donna le ministère de la guerre, avec le commandement en chef et le gouvernement des populations qui habitaient les plaines de l'empire; et, pour récompenser les Arabes qui lui avaient prêté un appui si efficace, il leur concéda de grands territoires et les revenus de plusieurs localités. Ici il s'écarta de la ligne de politique suivie par ses prédécesseurs; jamais ces khalifes n'avaient accordé de fiefs aux Arabes, pour ne pas ouvrir la voie à l'affaiblissement de leur propre autorité. Abou-Ishac continua à jouir du

Ce titre avait déjà été porté par son frère Abou-Abd -Allah, second souverain de la dynastie hafside. Voy. ci-devant, p. 335.

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