trouva le martyre. Cette journée funeste présagea la chute de Valence. La cavalerie chrétienne commença alors à inquiéter la ville par des incursions sans cesse renouvelées; puis, dans le mois de Ramadan 635 (avril-mai 4238), le roi d'Aragon vint y mettre le siége et la réduisit presque à la dernière extrêmité. Dans l'empire de Maroc, la dynastie d'Abd-el-Mourr.en était sans force; mais, en Ifrîkïa, venait de s'élever un nouveau royaume, celui des Hafsides. Ibn-Merdenich et les musulmans de l'Espagne orientale fixèrent donc leur espoir sur AbouZékérïa, et, croyant pouvoir ramener la fortune avec le concours de ce prince, ils lui envoyèrent un écrit par lequel ils le reconnaissaient pour leur souverain. Ibn-Merdenîch chargea son secrétaire, le jurisconsulte Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Abbar, de s'y rendre aussi et de solliciter des secours. Ce fut un jour bien solennel que celui dans lequel cette députation parut à la cour pour remplir sa mission. Dans cette brillante assemblée, Ibn-elAbbar récita son poème dont la rime est formée par la lettre s et dans lequel il implore le prince hafside de porter secours aux musulmans. Nous reproduisons ici cette pièce remarquable : Que tu cavalerie, la cavalerie de Dieu, entre dans l'Andalousie! pour délivrer ce pays; la route est frayée devant toi 2. Porte à l'Espagne suppliante un généreux secours; les opprimés ont toujours invoqué ton puissant secours ! Accablé par ses douleurs, ce pays rend le dernier soupir ! de combien de muux ne l'a-t-on pas abreuvé depuis le mutin jusqu'au soir! Malheureuse péninsule! tes habitants succombent, en victimes, sous les coups de l'adversité, et ton bonheur d'autrefois a fini par s'anéantir, Dans les poèmes arabes, la rime du premier couplet se reproduit à la fin de tous les vers suivants. Il est impossible de conserver, dans une traduction, toutes les beautés de style et d'expression qui rendent cette pièce un chefd'œuvre. Avec chaque aurore survient une nouvelle calamité qui est pour toi un sujet de deuil, pour l'ennemi une fête. Avec chaque soir arrive un nouveau désastre qui change la sécurité en crainte et la joie en tristesse. Les chrétiens ont juré que le sort partagera entre eux tes trésors les plus précieux, [ces êtres] charmants que le voile [dn harem] dérobe aux regards. En Valence et en Cordoue se passent des choses qui nous arrachent, non-seulement des soupirs, mais l'âme ! Dans plusieurs villes, l'infidélité est entrée, joyeuse et triomphante, pendant que la foi en est sortie tout éplorée. Par suite des invasions, elles nous offrent un spectacle qui altriste la vue autant qu'il l'avait réjouie. Que sont devenues leurs mosquées?— L'ennemi les a changées en couvents! Et leurs lieux d'assemblée? — On y entend le son de la cloche! Comment, hélas ! rendre à l'Espagne ce qu'elle a perdu? Ces écoles où l'on étudiait le texte sacré et dont il ne reste que des ruines! Où sont ces maisons de campagne où la main du zéphir butinait, à volonté, sur des robes [de verdure] et des manteaux brodés [de fleurs]? Là se trouvaient des bocages qui charmaient nos regards; mais leur fraîcheur a disparu, leur feuillage s'est desséché. L'aspect des paysages qui les entourent produit maintenant un effet étrange: il force le voyageur à s'arrêter [pour répandre des larmes] et l'habitant du sol à s'enfuir. Comme les infidèles y ont promptement répandu la désolation! Quelle ruine! Semblables aux sauterelles, ils envahissent nos séjours pour les ravager. Ils ont dépouillé Valence de sa parure en insultant ses frontières, ainsi que le lion chasseur accule sa proie. Où est la vie heureuse dont nous recueillions naguères les fruits savoureux? Où est la tige flexible [la belle à taille élancée] que nous faisions plier [vers notre sein]? Un tyran, né pour perdre l'Espagne, en a effacé les charmes; pour la ruiner, jamais il ne dort, jamais il ne sommeille. Les environs frisonnèrent d'horreur quand il vint les occuper et mutiler leurs monuments superbes. Le champ lui est resté libre, et ses mains s'étendent pour saisir [un prix] auquel, à pas furtifs, il n'avait jamais pu atteindre [autrefois]. Resté sans rival, il a vanté la doctrine de la trinité; mais si les unitaires déployaient leur étendard, il n'oserait dire une parole. Prince miséricordieux ! renoue le câble du [navire espagnol] auquel une guerre acharnée n'a laissé ni cable, ni mouillage.. Fais revivre ce que l'ennemi y a détruit, de même que tu as remis en vie la doctrine du Mehdi. Dans ces jours-là, tu fus le premier à courir au secours de la vérité, et, chaque nuit, tu t'éclairais à la lumière de cette loi directrice. Tu fus alors le champion de la cause de Dieu; [on t'y voyait agir] comme l'épée tranchante et comme le nuage qui verse ses eaux [bienfaisantes]. Tu as dissipé les ténèbres répandues par la doctrine almoravide, ainsi que les rayons du matin chassent la nuit ob scure. Voici des lettres, messagers qui invoquent ton aide; car tu es le meilleur de ceux en qui l'homme réduit au désespoir puisse placer sa confiance. Un navire, heureusement dirigé, est venu te trouver; il espère reconnaitre en toi le seigneur bien-aimé, le maître intelligent. Porté sur l'Océan et ballotté par les vagues, il a essuyé également de légères et de rudes [épreuves]. 1 Malgré le texte et les manuscrits, je lis ardjaoha au nominatif. Ou Almohades. 3 Le texte dit les ténèbres écrites par l'incorporation; c'est-à-dire fa doctrine de l'anthropomorphisme. Voy. ci-devant pp. 257, 258 3 Poussé par la tempête, il a déployé ses derniers efforts, à l'instar du coursier auquel tu fais déployer [ce qui lui reste de forces] pour atteindre le bout de la carrière. Il est venu trouver [Abou– Zékérïa-] Yahya, fils d'Abd-elOuahed, fils d'Abou-Hafs, afin de baiser le sol que sa présence a sanctifié. Ce prince auquel bien des royaumes obéissent comme seigneur spirituel et temporel; maintenant qu'ils ont revétu la robe de sa bienveillance. [Il est venu trouver un prince] dont chaque voyageur s'empresse de baiser la main, et vers lequel chaque malheureux accourt pour obtenir des bienfaits. [Un prince] favorisé de Dieu, dont les flèches frapperaient les étoiles, s'il lui plaisait d'y viser, et auquel la limite du monde dirait, sans hésiter : « Me voici à ton service, » s'il lui ordonnait d'approcher. [A lui appartient] un émirat dont le drapeau est porté par la main du destin, et un empire dont la puissance entraîne tous les obstacles1. Chez lui, la lumière du jour provient de l'éclat de ses dents, et la couleur foncée de ses lèvres fournit des ténèbres à la nuit 2. On le croirait la lune, entouré, comme il l'est, d'un halo de gloire et d'une garde de lances qui étincellent [comme les étoiles]. A lui appartiennent deux stations : la terre et les pléiades; stations auxquelles ce qui est exallé [les planètes] et ce qui est enraciné dans la terre [les montagnes] doivent céder en sublimité. Roi favorisé de Dieu! tu seras pour l'Espagne un [signe de] majesté devant lequel les ennemis de la foi tomberont ren versés. Le mot el-caaça paraît tirer sa signification du verbe dérivé tacaaça. 2 Dans la poésie arabe, on dit que les dents d'une belle personne répandent une clarté comme celle du jour et que l'incarnat de ses lèvres est tellement foncé qu'il ressemble aux ténèbres de la nuit. On regarde comme une nouvelle certaine que tu dois rendre la vie à ce pays en donnant la mort aux rois des Francs'. Purifie [par le sang] ton pays [l'Espagne] de la souillure que lui imprime la présence de l'ennemi; la pureté ne s'obtient qu'en lavant les souillures. Qu'une armée invincible foule le sol espagnol, jusqu'à ce que la tête de chaque chef s'abaisse [devant toi]. Porte secours à tes serviteurs qui, au fond de l'Espagne orientale, ont les yeux remplis de larmes 2. Ils se sont dévoués à ton service; mais leur séjour, miné par une maladie, va s'écrouler, à moins que tu n'y portes remède. Jouis d'avance du bonheur que tu goûteras en dotant l'Andalousie de chevaux sveltes et de lances effilés. Indique lui l'époque de la victoire qu'elle s'attend à remporter; espérons que le [dernier] jour de l'ennemi va bientot arriver ! L'émir Abou-Zékérïa exauça cette prière et fit partir pour l'Espagne une flotte chargée de vivres, d'armes et d'argent, le tout évalué à cent mille pièces d'or. Abou-Yahya, fils de YahyaIbn-es-Chehîd le hafside, qui commandait cette expédition, parut devant Valence et, trouvant la ville étroitement bloquée [ainsi que nous l'avons dit], il alla débarquer ces munitions à Dénia. Comme personne ne s'y présenta au nom d'Ibn-Merdentch pour les recevoir, il prit le parti de tout vendre et d'en rapporter le prix. Valence souffrait alors à un tel degré par suite du blocus qu'un grand nombre des habitants mourut de faim; aussi, dans le mois de Safer 636 (sept.-oct. 1238), la gar 1 Littéralement aux rois des jaunes. Les empereurs romains, après Vespasien, adoptèrent le surnom de Flavius, et les rois Goths d'Espagne en firent de même. C'est probablement pour cette raison que les musulmans donnent aux peuples chrétiens les noms de Beni-'l-Asfer (enfant du jaune) et Beni-'s-Sofr (enfants des jaunes). Ils auront pris Flavius pour flavus. • Le poète ajoute ici qui coulent par pair et impair; c'est-à-dire avec abondance. |