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marche de son armée. Parvenu enfin au haut d'un mamelon d'où il put découvrir le camp ennemi dressé au pied des remparts de Ceuta, son courage en fut ébranlé, car il reconnut qu'une telle position était inexpugnable. L'on raconte qu'en regardant cette ville où des convois de troupes arrivaient sans cesse des ports espagnols, il s'écria : « Voilà un aspic qui nous menace de sa » gueule!» et qu'il donna aussitôt l'ordre de rebrousser chemin. Le fait est qu'il n'avança pas plus loin.

S'étant alors retourné en arrière, il alla détruire El-Basra, ville très-florissante et siége du gouvernement de [Djâfer-IbnAli-] Ibn-el-Andelosi. Trouvant ensuite une bonne occasion de faire la guerre sainte, il tourna ses armes contre les Berghouata et tua leur roi Eïça-Ibn-Abi-'l-Ansar. Nous parlerons ailleurs de cette campagne. Ayant réussi à faire disparaître du Maghreb la domination des Oméïades et à refouler les Zenata dans le Désert, il envoya ses prisonniers à Cairouan et ne sortit plus des pays qu'il venait de conquérir. Il mourut, [le 24 de Dou-'l-Hiddja] 373 (mai 984), à Ouarekcen1, localité située entre Sidjilmessa et Tlemcen, pendant qu'il rentrait de cette longue expédition.

Règne d'El-Mansour, fils de Bologguin. — Aussitôt que Bologguîn eut rendu le dernier soupir, son affranchi, Abou-Zoghbel, en fit porter la nouvelle à El-Mansour, fils et successeur désigné du prince décédé. El-Mansour se chargea à l'instant même du commandement des Sanhadja, et ayant quitté Achîr, ville dont il exerçait le gouvernement à cette époque, il se rendit à Sabra [près de Cairouan]. Ce fut là qu'il reçut de la part d'ElAziz-Nizar, fils d'El-Moëzz-Mâdd, sa nomination au gouvernement de l'Ifrîkïa et du Maghreb, sous les mêmes conditions qui avaient été imposées à son père. Il confia aussitôt le gouverne

Dans En-Noweiri, ce nom est écrit Ouarokiin; dans le Baïan, on lit Ouargenfou. C'est du Baïan que nous avons pris la date précise de la mort de Bologguîn.

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ment de Tèhert à son oncle paternel, Abou-'l-Behar, et celui d'Achir à son frère Itouweft.

En l'an 374 (984-5), il envoya Itouweft dans le Maghreb-elAcsa à la tête d'une armée afin d'enlever ce pays aux Zenata qui, d'après les dernières nouvelles, s'étaient emparés de Sidjilmessa et de Fez. Ce prince eut une rencontre avec l'émir de Fez, ZîriIbn-Atïa, surnommé El-Cartas, et ayant essuyé une défaite, il revint à Achir. Dès-lors El-Mansour renonça aux expéditions contre les Zenata du Maghreb et permit ainsi à Ibn-Atïa, à IbnKhazroun et à Yeddou-Ibn-Yala d'y établir leur autorité. Il se rendit ensuite à Raccada, et comme Abd-Allah-Ibn [-Mohammed-] el-Kateb, officier nommé par Bologguîn au gouvernement de Cairouan et qui y commandait encore, lui avait donné des sujets de mécontentement 3, il accueillit les dénonciations qu'on lui adressa relativement à la conduite de ce fonctionnaire et l'accabla du poids de sa colère. Abd-Allah-Ibn-el-Kateb fut mis à mort en l'an 377 (987-8), et Youçof-Ibn-Abi-Mohammed lui succéda.

Le texte arabe porte à son frère; mais d'autres indications, fournies par Ibn-Khaldoun, démontrent qu'Abou-'l-Behar était frère de Bologguîn. Ici les manuscrits et le texte imprimé portent Bologguin. Il faut remplacer ce nom par celui d'El-Mansour.

3 Abd-Allah-Ibn-Mohammed, surnommé El-Kateb (l'écrivain), était fils d'un prince aghlebide qui s'était réfugié dans le pays des Nefzaoua, à l'époque où les Fatemides enlevèrent à sa famille le trône de l'Ifrîkïa. Ayant montré de grands talents comme écrivain épistolaire et une connaissance parfaite des langues arabe et berbère, il fut admis an service de Ziri en qualité de secrétaire, et il remplit ensuite le même emploi sous Bologguîn. Nommé gouverneur de Cairouan dans le mois de Rebiâ premier 364 (décembre 974), il y amassa tant de richesses que, dix années plus tard, il put dépenser huit cent mille pièces d'or (huit millions de francs) dans la construction d'un palais entouré de plantations d'arbres. En Moharrem 377, El-Mansour reçut une lettre d'El-AzîzNizar, sultan de l'Egypte, dans laquelle il lui fut enjoint d'insérer le nom d'Abd-Allah-el-Kateb dans la prière publique. C'était le désigner' comme héritier du trône; aussi la jalousie d'El-Mansour et de toute sa famille ne tarda pas d'éclater. Six mois après l'arrivée de cette dépêche, El-Mansour alla faire une promenade à cheval, accompagné de plusieurs officiers de sa maison, et il emmena Abd-Allah avec lui. Adressant alors

Plusieurs soulèvements ayant eu lieu parmi les Ketama, ElMansour en fit mourir les auteurs et châtia les révoltés avec une grande sévérité 1. Quand il eut réduit cette tribu à la soumission, il la plaça sous l'administration de fonctionnaires [sanhadjiens].

la parole à celui-ci, il entama une conversation qu'il interrompit subitement par un coup de lance. Abd-Allah, frère d'El-Mansour, lui porta un autre coup qui lui traversa le dos et la poitrine. Le malheureux Kateb tomba en proférant ces paroles: « Je meurs dans la religion de Dieu; » dans la religion de son Prophète! » Son fils Youçof ayant essayé de le sauver, fut massacré en même temps que lui. (En-Noweiri). On voit par le Baïan que cet homme était très-redouté d'El-Mansour et qu'à l'époque où Bologguîn mourut, il tenait les clefs du trésor public et du dépôt d'armes. Il parvint ensuite à exercer un tel pouvoir qu'il disposait de tous les emplois. Ses ennemis, et il en avait beaucoup parmi les courtisans, le dénoncèrent enfin à El-Mansour comme l'auteur caché de la révolte d'Abou-'l-Fehm et des Ketama. (Voyez la note suivante). El-Mansour lui ordonna alors de se démettre du gouvernement de l'Ifrîkïa et de se contenter de la place de secrétaire d'état. Abd-Allah répondit qu'il aimerait mieux être tué que destitué. Quelques jours après, il mourut de la main de ce prince et de la manière que nous raconte En-Noweiri. Les troupes profitèrent de la confusion amenée par la mort de ce fonctionnaire pour piller son palais et commettre toutes sortes de brigandages aux environs de Cairouan.

1 La première révolte des Ketama eut pour auteur un missionnaire, ou agent politique des Fatemides, nommé Abou-'l-Fehm-Hacen-IbnNasrouïah, natif de Khoraçan. Cet homme arriva à Çairouan, l'an 376, chargé par le khalife El-Aziz-Nizar d'une mission auprès des tribus ketamiennes. Youçof-Ibn-Abd-Allah, gouverneur de Cairouan, le reçut avec un empressement marqué, le combla de dons et de prévenances et lui fournit les moyens de se rendre à sa destination. Parvenu dans le pays des Ketama, Abou-'l-Fehm commença à y lever des troupes et à battre monnaie. L'année suivante, El-Mansour reçut la visite de deux officiers envoyés par la cour du Caire qui lui remirent des dépêches, en Jui intimant l'ordre de ne rien entreprendre contre Abou-'l-Fehm. On dit même que ces messagers déclarèrent qu'en cas de désobéissance aux ordres du khalife, les Ketama le mèneraient eu Egypte la corde au cou. Provoqué par cette insolente communication, El-Mansour leur répondit très-vertement et, s'étant mis en campagne, il les força à l'accompagner. Entré dans le pays des Ketama, il saccagea la ville de Mîla et détruisit tous les villages ketamiens qui se trouvaient sur son passage. Ayant défait les insurgés à Setif, il poursuivit Abou-'l-Fehm et parvint à l'atteindre dans une montagne où il s'était réfugié. Le prisonnier fut conduit en présence d'El-Mansour qui le frappa au

Vers cette époque, il donna le gouvernement d'Achîr à son frère Hammad.

En l'an 379 (989-90), pendant que la guerre avec les Zenata durait encore, Said-Ibn-Khazroun abandonna ceux-ci et passa du côté d'El-Mansour. Ce prince accueillit le transfuge de la manière la plus honorable, le combla de présents, lui donna le gouvernement de Tobna et [au fils de Saîd il accorda] la main de sa fille. Par cette conduite généreuse il décida plusieurs tribus zénatiennes à lui envoyer des députations [chargées de lui présenter leur soumission]. Said conserva le gouvernement de Tobna jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 381(994–2). Son fils Felfoul lui succéda dans cette charge.

En l'an 379, Abou-'l-Behar, fils de Zîri, leva l'étendard de la révolte, mais, à l'approche d'El-Mansour, il prit la fuite et se dirigea vers le Maghreb. El-Mansour continua la poursuite après avoir amnistié les habitants de Tèhert, et ne consentit à rebrousser chemin qu'au moment où les vivres commencaient à lui manquer 1. Abou-'l-Behar invoqua alors l'appui d'[El-Mansour-] Ibn-Abi-Amer, régent de l'Espagne, et lui envoya, en même temps, son fils comme ôtage. En conséquence de cette demande, Ibn-Abi-Amer écrivit à Zîri-Ibn-Atïa de la tribu de Zenata, chef

point de lui laisser à peine un souffle de vie. On lui fendit ensuite le ventre pour en arracher le foie, et les esclaves nègres dépecèrent son corps, en firent rôtir les chairs et dévorèrent tout jusqu'aux os. Ceci eut lieu vers le commencement de l'an 378 (mai 998). Les ambassadeurs reçurent alors leur congé avec l'ordre d'informer leur maître de ce qu'ils venaient de voir. Arrivés au Caire, ils dirent au khalife : « Nous venons d'un pays de démons, mangeurs d'hommes, qui n'appartiennent pas à l'espèce humaine. »>

La seconde révolte des Ketama éclata dans le même pays, l'an 379. Elle avait été suscitée par un nommé Abou-'l-Feredj, juif, à ce que l'on rapporte, qui se donnait pour un petit-fils d'El-Caïm, khalife fatemide. Les partisans qu'il trouva parmi les Ketama succombèrent presque tous sur le champ de bataille, et El-Mansour profita de sa victoire pour accabler cette tribu de contributions et d'impôts. Abou-'l-Feredj fut livré par les siens et périt dans les tortures. (En-Noweiri.)

1 Selon l'auteur du Baïan, El-Mansour donna alors le commandement de Tèhert à son frère Itou weft.

du parti oméïade à Fez, lui ordonnant de seconder franchement les efforts du prince sanhadjien. Zîri fournit des secours au fugitif, et déjà, pendant quelque temps, ils avaient agi de concert, quand Yeddou-Ibn-Yala leur déclara la guerre. La défaite de Yeddou les rendit maîtres de Fez et de la contrée voisine; mais, en l'an 382 (992-3), une mésintelligence éclata entre les deux alliés, et Abou-'l-Behar s'en retourna auprès des siens. Il rentra à Cairouan la même année, et trouva, auprès d'El-Mansour, l'accueil le plus empressé. Comblé d'honneurs et de cadeaux par son neveu, il en reçut de plus sa nomination au gouvernement de Tèhert. El-Mansour mourut en 385 (995) '.

Badîs, fils et suc

Règne de Badis, fils d'El-Mansour. cesseur d'El-Mansour, chargea Itouweft du gouvernement de Tèhert, le plaça, avec son autre oncle Hammad, à la tête des troupes de l'empire, et les envoya contre les Zenata. Cette armée fut mise en déroute et repoussée jusqu'à Achir. En l'an 389 (999), Badîs lui-même se mit en marche afin d'attaquer Zîri-IbnAtïa, qui opérait sa retraite vers le Maghreb. Il confia alors à son oncle 3 Itouweft les gouvernements réunis de Tèhert et d'Achîr. Cette nomination décida les frères Makcen, Zaoui, Halal, Maghnîn et Arem à se révolter contre leur neveu Itouweft et à piller son camp. Itouweft parvint à s'échapper, et Abou-'l-Behar accourut auprès de Badîs pour se disculper de toute participation à cet attentat. Comme le sultan était alors occupé à combattre

L'auteur du Baian place la mort d'El-Mansour en l'an 386, 3 du premier Rebiâ (fin de mars 996). C'est aussi l'année donnée par EoNoweiri.

2 Badîs eut pour surnoms Abou-Menad-Nasir-ed-Dola.

(Baian.)

3 Dans le texte arabe, on lit: son frère. Cette leçon est mauvaise : Itouweft était fils de Bologguîn et oncle de Badis.

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Dans un des chapitres suivants, l'auteur rend compte des mêmes événements en y ajoutant quelques détails. On remarquera dans ces deux récits quelques variantes d'orthographe dans les noms propres et quelques contradictions.

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