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rages de l'Espagne et les rivières qui arrosaient ce pays, ils s'y fixèrent et se mirent à le cultiver ; ils confièrent à des rois le soin de les gouverner et pratiquaient la religion de ceux qui les accueillirent. Leur capitale était T'âlik'at el-Khirâb, dans la province de Séville (1); dans cette ville, qui fut fondée par eux, ils habitèrent pendant plus de cent cinquante ans, et onze princes y régnèrent successivement.

Dieu envoya ensuite contre eux les barbares de Rome, ayant à leur tête Echbân ben T'it'ouch, qui leur fit la guerre, les persécuta et en fit mourir un certain nombre; il mit le siège devant T'âlik'at, où les indigènes s'étaient fortifiés et, pour les combattre, il bâtit Echbâniya, c'est-à-dire Séville, dont il fit sa capitale. L'accroissement de ses partisans augmenta son orgueil : il fit une expédition contre Jérusalem, qu'il pilla et où il tua cent mille personnes; il en ramena du marbre à Séville et ailleurs. Dans le butin figurait aussi la table de Soleyman ben Dâwoùd (Salomon fils de David), dont s'empara T'ârik' lorsqu'il conquit Tolède (2), de même que la petite cruche en or, et la pierre précieuse qui fut trouvée à Mérida (3).

El-Khid'r était venu, à un certain moment, trouver Echbân, occupé alors à cultiver la terre, et lui dit : « Un jour [P.441] tu deviendras grand et puissant, et tu régneras. Quand tu auras conquis Ilia (Jérusalem), montre-toi bienveillant pour la postérité des prophètes.

Te

(1) « Région qui figure parmi les cantons de Séville », dit le Meracid. Cette ville est aussi mentionnée par 'Abd el-Wâhid Merrakechi, (Histoire des Almohades, tr. franç., p. 312) et par le Bayán (II, 3). Ni Edrisi ni Aboulféda n'en parlent.

(2) Sur cette table, voir Dozy, Recherches, 3e éd. I, p. 52, et les auteurs cités dans la trad. de Merrâkechi, p. 10.

(3) Cette pierre précieuse est une espèce d'escarboucle qui, d'après un auteur cité par Aboulféda (Géographie, II, 248), illuminait les environs. Sur Mérida, voir Edrisi, p. 220; Aboulféda, l. 1. ; Meráçid, III, 29.

moques-tu?» lui répondit-il; « comment un homme comme moi deviendrait-il roi? Ainsi l'a décidé », répartit le Prophète, « celui qui a transformé ton bâton comme tu peux le voir ». Et, en effet, il était couvert de feuilles. El-Khid'r disparut alors, laissant Echbân tout effrayé (1). Cependant celui-ci, confiant dans la prédiction qui lui avait été faite, se mêla aux autres hommes et finit par devenir le chef d'un royaume puissant. Il régna vingt ans, et cinquante-cinq de ses descendants occupèrent successivement le trône après lui.

Contre les habitants de l'Espagne, surgit ensuite un peuple qui faisait partie des barbares de Rome et qui s'appelait El-Bachnoûliyyât, dont le roi était Tawîch ben Nîta, vers l'époque de la mission prophétique du Messie. Če peuple conquit l'Espagne et fit de Mérida sa capitale. Il fournit une dynastie de vingt-sept princes.

L'Espagne fut ensuite conquise par les Goths, peuple qui obéissait à un roi et qui s'était d'abord montré en Italie, pays situé à l'est de l'Espagne. A partir de cette époque, ce dernier pays échappa, à leur profit, au souverain de Rome. Les Goths s'étaient d'abord dirigés contre la Macédoine, pays situé dans ces régions, à l'époque de K'alyoûdyoûs, le troisième des Césars; mais à la suite de la défaite que leur infligea ce prince, qui en massacra un certain nombre, ils ne parurent plus jusqu'à l'époque de Constantin le Grand. Les incursions qu'ils recommencèrent sous ce prince furent réprimées par l'armée qu'il envoya contre eux; on ne sait plus rien qui les concerne jusqu'au César Thalâth (2).

Ils choisirent pour leur chef un prince du nom de Loderîk, qui, adorateur des idoles, alla à Rome pour convertir les chrétiens à son système d'idolâtrie. Ensuite ses partisans, mécontents de sa manière d'agir,

(1) La même légende se retrouve dans le Bayán (11, 3). Le Khidr des Arabes est le prophète Elie de la Bible.

(2) Variante, Belit.

se détachèrent de lui et, se ralliant à son frère, entamèrent la lutte avec lui. Mais il demanda du secours au roi de Rome, et, avec l'armée que celui-ci lui envoya, il battit son frère et se fit chrétien.

Après avoir régné treize ans, il eut pour successeur Akrit, puis Amalrik, puis Waghdîch, lesquels embrassèrent de nouveau l'idolâtrie. Ce dernier fut défait et tué par le roi de Roûm, alors qu'il marchait contre Rome à la tête d'une armée de cent mille hommes. [P. 422] Après lui régna Alarîk', qui était dualiste (zindik') et vaillant guerrier, et qui, pour tirer vengeance de la mort de Waghdich et des siens, alla assiéger Rome; il en réduisit les habitants aux dernières extrémités, puis pénétra de vive force dans la ville et la pilla. Cela fait, il réunit une flotte pour aller conquérir et piller la Sicile; mais la plus grande partie de ses troupes périt dans un naufrage, où lui-même perdit la vie. Son successeur At'loûf, qui régna six ans, alla d'Italie s'établir dans la Galice, proche de l'extrémité de l'Espagne, et de là à Barcelone. Il eut pour successeur son frère, qui régna trois ans. Ensuite se succédèrent Wâliyâ et Boûrdezârîch, qui régnèrent trente-trois ans; puis Tarachmond, fils de ce dernier, et son frère Loderîk', qui régnèrent treize ans; Ourîk' (Euric), dix-sept ans; Alarîk'à T'oloûcha (Toulouse), vingttrois ans; 'Achlik', puis Amlîk', deux ans; Toûdhyoûch, dix-sept ans cinq mois; T'oudatk'lis, un an trois mois; Athla, cinq ans; Atlandja, quinze ans ; Liyoûbâ, trois ans; son frère Lewîld. Ce prince fut le premier à faire de Tolède sa capitale; la raison qui l'y poussa fut la position centrale de cette ville, qui lui permettait de combattre sans retard ceux qui tentaient de se soustraire à son pouvoir; ses efforts furent couronnés de succès, et il finit par rester maître de l'Espagne entière. Il bâtit, proche de Tolède, la ville de Rak'awbal, qu'il appela ainsi du nom de son fils; il la fortifia et en agrandit les jardins. Il fit la guerre au pays de Bachk'ons (Biscaye), dont les habitants durent courber la

tête devant lui. Il demanda au roi des Francs la main de sa fille pour son propre fils Ermendjild, et, l'ayant obtenue, il établit les jeunes époux à Séville. Mais Ermendjild s'étant, par suite des suggestions de sa femme, révolté contre son père, celui-ci les tint étroitement bloqués [P. 443] et finit par s'emparer de vive force de son fils rebelle, qu'il laissa mourir en prison. A Lewild succéda son fils Rekared, prince dont la conduite mérita des louanges, pieux et chaste, qui revêtit le froc des moines. Il assembla les évêques, devant qui il blâma la conduite de son père, et confia le pays à ces prêtres, qui étaient au nombre de quatrevingts environ. C'est ce prince qui bâtit l'église El-Wazk'a, en face de la ville de Wâdi Ach (Guadix).

Son fils Liyoûba marcha sur les traces de son prédécesseur. Mais un Goth, nommé Batrîk', le tua par trahison et s'empara du pouvoir malgré les Espagnols. Pécheur, impie et tyrannique, cet homme fut attaqué et tué par l'un de ses familiers.

Ghandamar occupa ensuite le trône pendant deux ans. Après lui, Sîsîfoût, prince dont la conduite était louable, régna pendant neuf ans.

Son fils Rekarîd, qui n'avait que trois mois, lui succéda et mourut (bientôt). Vint ensuite Chontila (Suintila), qui sut s'attirer la reconnaissance de ses sujets et qui était contemporain de la mission du Prophète. Sichnand régna ensuite cinq ans, puis Khantala, six ans ; Khandas, quatre ans; Benbân, huit ans, Arwa, sept ans. Sous le règne de ce dernier, une famine terrible faillit ruiner entièrement l'Espagne. Abk'a, prince injuste et mauvais, régna quinze ans et eut pour successeur son fils Ghît'icha (Vitiza), qui occupait le trône en 77 (9 avril 696) de l'hégire; ce dernier fut un prince juste et doux, qui mit en liberté ceux que son père avait fait jeter en prison et qui restitua à leurs propriétaires les biens confisqués sur eux. Après sa mort, les Espagnols n'agréèrent ni l'un ni l'autre des deux fils qu'il laissait et

portèrent leur choix sur un homme du nom de Roderik', vaillant guerrier qui n'appartenait pas à la famille royale.

(1) Or la coutume existait [P. 444] chez les princes d'Espagne d'envoyer leurs enfants des deux sexes dans la ville de Tolède; ces enfants y remplissaient, à l'exclusion de tous autres, l'office de serviteurs chez le roi qui habitait cette ville, et y recevaient ainsi leur éducacation; puis, quand ils étaient devenus grands, le roi les dotait et les mariait entre eux. Roderik', devenu roi, reçut de la sorte une fille de Julien, gouverneur d'Algéziras, de Ceuta et autres lieux; elle lui plut et il lui fit subir les derniers outrages. La nouvelle de cette violence, dont la jeune fille informa son père, exaspéra celui-ci, qui se mit en rapport avec Moùsa ben Noçayr, gouverneur de l'Ifrikiyya au nom d'El-Welîd ben 'Abd el-Melik, et lui offrit de se soumettre s'il se rendait à son appel. Moùsa consentit, et Julien le fit entrer dans les villes qui dépendaient de lui, après avoir reçu du nouveau venu, en sa faveur et en celle des siens, des engagements satisfaisants. Julien fit ensuite la description de l'Espagne, en engageant Moùsa à y pénétrer. Cela arriva à la fin de l'an 90 (19 nov. 708). Moùsa envoya alors à El-Welid la nouvelle des conquêtes qu'il avait faites et de celle que Dieu lui offrait, par suite des propositions de Julien; à quoi le khalife répondit : « Pénètre dans ce pays en y lançant quelques escadrons détachés, mais sans exposer les musulmans à se jeter

(1) Sur les divers incidents de la conquête de l'Espagne, et la manière dont elle s'accomplit, il faut voir le mémoire de Dozy (Recherches, 3e éd., p. 1 et s.). Ce savant reproduit (p. 40) le récit de l'Akhbar Madjmoú'a (p. 4 et s. du texte publié par Lafuente sous le titre Ajbar Machmúa, Madrid, 1867), comme étant le plus véridique; il ressemble beaucoup au nôtre. La version de Nowayri, lequel a suivi le récit d'Ibn el-Athir, figure dans les Berbères (1, 345). Il faut également recourir au travail de M. E. Saavedra, Estudio sobre la invasion de los Arabes en Espana, Madrid, 1892.

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