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sin, Tachefîn-Ibn-Ghazi, en qualité de gouverneur et marcha contre Cabes. Les habitants de cette ville venaient d'obtenir pour commandant un officier almohade nommé Omar-Ibn-Tafraguîn. Ce fut à l'époque où Tripoli succomba qu'ils s'adressèrent au cheikh Abou-Said le hafside pour avoir un gouverneur; car ils se voyaient abandonnés par le lieutenant que Caracoch avait établi chez eux. Ibn-Ghanîa mit donc le siége devant Cabes et força les habitants à capituler. Par un des articles du traité, Ibn-Tafraguîn eut l'autorisation de s'en aller librement. Ceci se passa en 594 (1195). Le vainqueur imposa sur les habitants une contribution forcée de soixante mille pièces d'or. En l'an 597 (1200-4), il prit El-Mehdïa et y fit mourir Mohammed-er-Regragui qui s'y était rendu indépendant.

Mohammed-Ibn-Abd-el-Kerîm-er-Regragui, de la tribu de Koumïa, naquit à El-Mehdïa et s'enrôla dans la milice, corps de troupes soldées que l'on y entretenait. Doué d'une grande bravoure, il parvint facilement à former une bande de cavaliers et de fantassins avec laquelle il combattait les Arabes nomades qui dévastaient la province. La crainte qu'il leur inspira ajouta encore à sa réputation, pendant que sa conduite lui attirait les bénédictions du peuple. A cette époque, Abou-Saîd le hafside administrait l'Ifrîkïa, charge qu'il occupait depuis l'avènement d'El-Mansour, et il venait de donner à son frère Abou-Ali-Younos le gouvernement d'El-Mehdïa. Celui-ci ayant demandé à Ibn-Abd-el-Kerîm-er-Regragui la moitié du butin enlevé aux Arabes, essuya un refus dont il se vengea en persécutant et en emprisonnant ce brave soldat. En l'an 595 (1198-9), Ibn-Abdel-Kerîm se concerta avec ses affidés, s'empara de Younos et le retint prisonnier jusqu'à ce qu'Abou-Saîd le rachetât moyennant cinq cents dinars en or monnayé. Devenu ainsi maître d'ElMehdïa, il y proclama son indépendance et prit le titre d'ElMotéwakkel-ala-'llah (qui met sa confiance en Dieu). Le cîd Abou-Zeid, fils d'Abou-Hafs-Omar et petit-fils d'Abd-el-Moumen, vint alors prendre le gouvernement de l'Ifrîkïa, et, en l'an 596, il se vit assiéger dans Tunis par Ibn-Abd-el-Kerîm qui, ayant dressé son camp à la Goulette (Halk-el-ouadi), repoussa avec

T.II.

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avantage les sorties tentées par les Almohades. Le siége avait traîné en longueur, quand Ibn-Abd-el-Kerîm exauça les prières des habitants et s'éloigna. Arrivé sous les murs de Cabes, il y assiégea Yahya-Ibn-Ghanîa pendant quelque temps et, ensuite, il prit la route de Cafsa. Vivement poursuivi par Ibn-Ghania, il rentra dans El-Mehdïa où il eut bientôt à soutenir un siége. Ce fut en 597 (1200-4) qu'lbn-Ghanîa prit position devant la ville et, avec l'aide de deux navires de guerre obtenus du cîd AbouZeid, il força son adversaire à se rendre et l'envoya mourir au fond d'une prison.

Maître de Tripoli, de Cabes, de Sfax et du Djerîd, Ibn-Ghanîa ajouta alors à ses états la ville d'El-Mehdïa. Ayant ensuite entrepris une expédition dans la partie occidentale de l'Ifrîkïa, il dressa ses catapultes contre la ville de Bèdja, la prit d'assaut et la ruina de fond en comble. Le gouverneur, Omar-Ibn-Ghaleb, y perdit la vie, et les habitants se réfugièrent dans Laribus et Sicca Veneria. Après le départ du chef almoravide, ils rentrèrent chez eux par l'ordre du cîd Abou-Zeid, mais Ibn-Ghanîa vint encore les y attaquer. La nouvelle de l'approche d'une armée almohade commandée par le cîd Abou-'l-Hacen, frère d'Abou-Zeid, l'obligea à lever le siége et à marcher à la rencontre de l'ennemi. Il s'ensuivit une bataille près de Constantine qui entraîna la défaite des Almohades et la prise de leur camp. Biskera étant tombé au pouvoir d'Ibn-Ghanîa, il fit couper les mains aux habitants et emmena prisonnier Abou-'l-Hacen-Ibn-Abi-Yala, officier qui y commandait. Après cette conquête, il occupa Tebessa et Cairouan; puis, ayant reçu les hommages des habitants de Bône, il rentra à El-Mehdîa.

Parvenu ainsi à un haut degré de puissance, il partit, l'an 599 (1202-3), pour assiéger Tunis, après avoir confié le gouvernement d'El-Mehdïa à son cousin Ali-el-Kafi, fils de Ghazi, fils d'Abd-Allah, fils de Mohammed, fils d'Ali et de Ghanîa. Il campa sur le Djebel-el-Ahmer (le Mont-Rouge), près de Tunis, fit occuper la Goulette par son frère, de manière à investir la ville, puis, il en fit combler les fossés et jouer ses catapultes et autres machines de guerre. Au bout de quatre mois, et dans la dernière

année du sixième siècle (1203), il emporta Tunis d'assaut. Parmi les prisonniers se trouvèrent le cîd Abou-Zeid et ses deux fils. Une contribution de cent mille pièces d'or fut imposée sur les habitants, et Ibn-Asfour, secrétaire d'Ibn-Ghanïa, entreprit de percevoir cette somme en se faisant seconder par Abou-BekrIbn-Abd-el-Azîz-Ibn-es-Sekak. Ces commissaires mirent tant de rigueur dans l'exécution de leur tâche, que la plupart de ceux qui passèrent par leurs mains auraient préféré la mort au traitement cruel qu'ils avaient dû subir. L'on rapporte même qu'Ismaïl-Ibn-Abd-er-Refiâ, membre d'une des premières familles de la ville, céda au désespoir et mit fin à ses jours en se précipitant dans un puits. Ce triste événement fit renoncer au recouvrement des sommes qui restaient encore à payer. Ibn-Ghania emmena prisonnier le cîd Abou-Zeid et, parvenu à Nefouça, il imposa sur les habitants de cette localité une contribution de deux millions de dinars (pièces d'or). Se livrant, dès lors, à toute espèce de violence, il opprima le peuple et se lança insolemment dans les excès de la tyrannie.

Le khalife En-Nacer éprouva l'indignation la plus vive en apprenant l'étendue des malheurs dont Ibn-Abd-el-Kerîm et IbnGhanîa avaient accablé le peuple de l'Ifrîkïa; aussi, en l'an 604 (1204-5), il quitta Maroc et se mit en marche pour ce pays. A cette nouvelle, Ibn-Ghanîa sortit de Tunis, traversa Cairouan et, arrivé à Cafsa, il rassembla ses partisans arabes et s'en fit remettre des otages pour assurer leur fidélité. Quand il eut assiégé et ruiné Torra, forteresse située dans le pays de Nefzaoua, il se porta sur le Hamma des Matmata.

En-Nacer, étant arrivé à Tunis, se rendit à Cafsa et, de là, à Cabes où il apprit que son adversaire s'était retranché dans la montagne de Demmer. Ne voulant pas l'attaquer dans une position aussi forte, il alla camper sous les murs d'El-Mehdïa dont il se proposa d'entreprendre le siége. En l'an 602, pendant qu'il faisait construire des machines pour battre la place en brèche, il expédia contre Ibn-Ghanîa un corps de quatre mille Almohades commandés par Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed le hafside. Un engagement eut lieu entre les deux partis à Mont-Tadjera, aux

environs de Cabes, et Djobara-Ibn-Ishac, frère d'Ibn-Ghanîa, y perdit la vie en même temps que le cîd Abou-Zeid recouvra la liberté.

En-Nacer obtint alors la possession d'El-Mehdïa, et comme le gouverneur, Ali-Ibn-Ghazi, avait embrassé sa cause, il l'accueillit avec une haute distinction et lui fit présent d'un riche cadeau que son affranchi Naseh venait de lui apporter de Ceuta. Parmi les objets de prix dont cette offrande se composait, on remarqua surtout deux robes ornées de pierreries. Ibn-Ghazi resta au service d'En-Nacer et trouva la mort en combattant les infidèles (les Chrétiens de l'Espagne).

Rentré à Tunis, après avoir donné le commandement d'ElMehdïa à un chef almohade nommé Mohammed-Ibn-Yaghmor, En-Nacer s'occupa à trouver un homme capable de gouverner l'Ifrîkïa et de protéger ce pays contre les bandes d'Ibn-Ghanîa. Son choix se fixa sur Abou-Mohammed le hafside, auquel il confia ce poste éminent en l'an 603 (1206-7). Aussitôt qu'il eut repris la route du Maghreb, son adversaire infatigable rassembla des troupes afin d'attaquer les Almohades dans Tunis. Les Douaouida, sous la conduite de leur émir Mohammed, fils de Masoud Ibn-Soltan, accoururent sous les drapeaux d'Ibn-Ghanîa, ainsi qu'une foule d'autres brigands arabes; mais la tribu d'Auf, branche de celle de Soleim, se rangea du côté des Almohades. Après une rencontre qui eut lieu à Chebrou, près de Tebessa, et dans laquelle les Almoravides furent mis en déroute, Ibn-Ghanîa s'enfuit du côté de Tripoli; mais, quelque temps après, il envahit le Maghreb avec ses Arabes et ses Almoravides qu'il était parvenu à rassembler de nouveau. Arrivé à Sidjilmessa, il reprit le chemin du Maghreb central, après avoir tout dévasté sur son passage et gorgé de butin les guerriers qui marchaient sous son drapeau. Cédant alors à l'invitation de quelques Zenatiens, amis du désordre, il se dirigea vers Tèhert pour livrer bataille aux troupes du cid Abou-Amran-Mouça, fils de Youçof-Ibn-Abd-elMoumen et gouverneur de Tlemcen. Les Almohades y essuyèrent une défaite; Abou-Amran perdit la vie et son fils fut fait prisonnier. Le vainqueur reprit alors le chemin de l'Ifrîkïa, mais,

ayant rencontré une armée almohade commandée par le cheikh Abou-Mohammed, gouverneur de cette province, il perdit tout le butin qu'il avait ramassé et se vit repousser dans les montagnes de Tripoli. Son frère, Sîr-Ibn-Ishac, l'abandonna vers cette époque et se rendit à Maroc où En-Nacer lui fit un accueil fort honorable.

Malgré ce revers, Ibn-Ghanîa parvint encore à rassembler plusieurs bandes d'Arabes appartenant, les unes à la tribu de Riah, et les autres aux tribus d'Auf et de Nefath. Un certain nombre de tribus berbères, alliées de ces nomades, vinrent aussi se joindre à lui. Il prit alors la résolution d'envahir l'Ifrîkïa, sans prévoir le rude échec auquel il allait s'exposer. En l'an 606 (1209-10), son armée fut totalement dispersée à MontNefouça par les Almohades sous les ordres du cheikh AbouMohammed; tous ses émirs périrent sur le champ de bataille; ses chevaux, ses équipages et ses armes tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Dans cette journée, Mohammed-Ibn-el-Ghazi perdit la vie ainsi que Djerrar-Ibn-Ouîghern le maghraouien, et Abd-Allah, fils de Mohammed-Ibn-Masoud-Ibn-Soltan le douaouidien, dont le père était alors émir des Riah. Avec Abd-Allah succombèrent son cousin Harakat, fils d'Abou-'s-Cheikh-IbnAçaker-Ibn-Soltan et l'émir des Corra, branche de la tribu de Hilal. Ibn-Nakhîl, qui mentionne la mort de ce dernier, rapporte qu'en ce jour les Almohades enlevèrent aux Almoravides dixhuit mille bêtes de somme.

Ce revers contribua beaucoup à ruiner l'influence d'Ibn-Ghanîa et à réprimer son audace. Les tribus nefouciennes se soulevèrent contre son scribe Ibn-Asfour, qui avait été chargé de prélever sur elles une contribution forcée, et elles mirent à mort ses deux fils.

Abou-Mohammed parcourut alors l'Ifrîkïa et, étant tombé sur les Arabes soleimides, il fit prisonniers leurs cheikhs et les envoya à Tunis avec leurs familles. Par de semblables moyens, il réprima l'esprit de brigandage qui animait les Arabes et rendit [graduellement] la paix à l'Ifrîkïa. Cette province continua à jouir d'une grande prospérité jusqu'à la mort d'Abou-Mohammed, événement qui eut lieu en 618 (1221).

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