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tion qui les avait réunis en seul corps]. Ce docteur passa chez les Lemtouna, renonçant à la mission qu'il avait essayé de remplir, et embrassa la vie ascétique, ainsi que nous l'avons déjà dit'. Yahya-Ibn-Omar et son frère Abou-Bekr, descendants d'Ourtantac et membres de la famille qui gouvernait les Lemtouna. répondirent à l'appel qu'Ibn-Yacîn leur adressa et entrainèrent dans le chemin de la dévotion une grande partie de leur tribu. Sous la conduite de ce chef, les néophites firent la guerre aux autres peuples à litham, après avoir rallié à la cause almoravide une grande partie des Messoufa.

La conversion de cette tribu lui ouvrit le chemin à la prééminence qu'elle atteignit plus tard sous la dynastie almoravide. Ali-Ibn-Youçof-el-Messoufi, un de leurs chefs les plus braves et les plus influents, occupa, pour cette raison, une haute position à la cour de Youçof - Ibn - Tachefîn; mais, ayant tué un chef lemtounide à la suite d'une dispute, il fut obligé de s'enfuir dans le Désert, après avoir allumé, par cet acte de violence, une guerre entre les Messoufa et les Lemtouna. Quelques années plus tard, il lui fut permis de rentrer au sein de sa tribu, Youçof-IbnTachefin l'ayant délivré de tout danger en acquittant le prix du sang répandu.

Ce monarque donna alors en mariage à son protégé une de ses parentes nommée Ghanîa, et remplit ainsi un engagement qu'il avait pris envers le père de cette femme.

Mohammed et Yahya, les fruits de cette alliance, furent élevés sous les yeux de Youçof-Ibn-Tachefîn. Ali, fils et successeur de Youçof, leur tenant compte des liens qui les attachaient à sa famille, établit Yahya à Cordoue en qualité de gouverneur de l'Espagne occidentale, et donna à Mohammed le gouvernement des îles baléares. Ces nominations eurent lieu en 520 (1126). Peu de temps après, l'empire almoravide s'écroula, et l'Espagne envoya ses députations et ses hommages à Abd-el-Moumen. Ce monarque fit reconduire les agens espagnols par Abou-IshacBerran-Ibn-Mohammed le masmoudien, puissant chef almohade

Voy. page 68 de ce volume.

auquel il avait confié la tâche de faire la guerre aux Lemtouna. Berran ayant pris possession de Séville, somma Yahya, fils d'Ali et de Ghanîa, à faire sa soumission et l'obligea à échanger Cordoue contre Jaen et El-Calâ [Alcala de Guadeira, près de Séville]. Il marcha ensuite sur Grenade afin d'en éloigner les Lemtouna et de les contraindre à reconnaître la souveraineté des Almohades. Il mourut dans cette ville, l'an 543 (4148-9) et fut enterré dans le château bâti par Badîs (Casr-Badis) 1.

Quant à Mohammed, l'autre fils d'Ali [et de Ghanîa], il garda le commandement des Baléares jusqu'à sa mort. Son fils AbdAllah lui succéda, et Ishac, un autre de ses fils, recueillit l'autorité après la mort de son frère. Selon un autre récit, Ishac, jaloux de la préférence que son père témoignait pour Abd-Allah, les fit assassiner tous les deux et s'empara du pouvoir. Il mourut sur le trône en 580 (1184-5), et laissa huit fils, savoir: Mohammed, Ali, Yahya, Abd-Allah, El-Ghazi, Sîr, El-Mansour et Djobara.

Mohammed succéda à son père, et ayant appris, l'année même de son avénement, que Youçof, fils d'Abd-el-Moumen, était débarqué en Espagne, il jugea prudent de reconnaître l'autorité de ce monarque et de lui envoyer sa soumission. L'arrivée d'AliIbn-ez-Zoborteir2 à Maïorque, chargé par Youçof de mettre à l'épreuve la sincérité du chef almoravide, remplit d'indignation les frères de Mohammed; ils enlevèrent sur-le-champ le pouvoir à leur aîné et lui donnèrent pour successeur leur frère Ali. Comme Ibn-ez-Zoborteir voulut alors s'embarquer pour aller rejoindre son maître, ils y mirent obstacle; puis, ayant reçu la nouvelle de la mort du khalife, Youçof-el-Achéri, tué à la bataille d'Arcos, et de l'avènement de son fils Yacoub, ils jetèrent l'agent almohade dans le fond d'une prison.

Ali-Ibn-Ishac, le nouveau gouverneur, confia l'administration

1 Voy, ci-dessus, p. 63.

2 Variantes: Er-Robertin, Er-Robortir, Ez-Zebertîn.

a Ei-Acheri signifie le decemviral. Ce titre appartenait exclusivement aux enfants des dix principaux disciples du Mehdi.

de Maïorque à son oncle, Abou- 'z -Zobeir, et ayant équipé une escadre de trente-deux navires, il mit à la voile et emmena ses frères Yahya, Abd-Allah et El-Ghazi. Arrivés devant Bougie dans le mois de Safer 584 (mai 1185), ils s'emparèrent de la ville sans coup férir, les habitants ne s'étant nullement attendus à leur arrivée. Le cîd Abou-'r-Rebiâ, fils d'Abd-Allah et petitfils d'Abd-el-Moumen, qui commandait alors à Bougie, était absent au moment de l'invasion, ayant fait une excursion à Aïmîloul. Aussitôt débarqués, les fils de Ghanîa arrêtèrent le cîd Abou-Mouça, fils d'Abd-el-Moumen, qui se rendait de l'Ifrîkïa en Maghreb, et ils enlevèrent toutes les richesses qui se trouvaient dans les maisons appartenant aux cîds et aux Almohades. Le [cid,] gouverneur de la Calâ [-Beni-Hammad], qui se rendait en ce moment à Maroc, apprit à Metîdja, ce qui venait de se passer à Bougie et revint sur ses pas afin de porter secours au cîd Abou-'r-Rebiâ. Ali [-Ibn-Ishac] - Ibn - Ghanîa marcha contre eux, mit leur armée en déroute et s'empara de leur camp et de leurs trésors. Les deux chefs almohades parvinrent à atteindre Tlemcen où ils s'arrêtèrent chez le cîd Abou-'l-Hacen, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen. Ce prince travailla sur-le-champ à restaurer les fortifications de sa ville, pendant que les deux cîds [Abou-'r-Rebiâ et le gouverneur de la Cala] y attendaient la revanche qu'ils espéraient prendre avec

son secours.

Ibn-Ghaniâ se mit alors à butiner, et ayant distribué les fruits de ses rapines à une foule d'Arabes et d'autres bandits, il marcha avec eux sur Alger. S'étant emparé de cette ville, il y laissa Yahya-Ibn-Akhi-Talha en qualité de gouverneur, et ayant ensuite pris Mouzaïa 2, il poussa en avant jusqu'à Milîana. Après avoir placé cette ville sous le commandement de Yedder-IbnAïcha, il se dirigea contre El-Calâ [Calâ-Beni-Hammad] et l'em

Cid est la prononciation vulgaire du mot séïyid (chef, seigneur). Sous les Almohades, on donnait ce titre aux princes de la famille royale, descendants d'Abd-el-Moumen.

Le texte arabe porte Mazouna, leçon que la position géographique des lieux rend inadmissible.

porta d'assaut au bout de trois jours de siége. Dans toutes ces entreprises, les Arabes le secondèrent avec un zèle vraiment infernal. Il se présenta ensuite devant Constantine et, pendant qu'il faisait le siége de cette place forte, il prit à son service les bandes d'Arabes qui lui arrivaient de tous côtés avec leurs tentes, leurs troupeaux et leurs familles.

El-Mansour [le souverain almohade] eut connaissance de ces événements en débarquant à Ceuta après son expédition en Espagne. Il désigna aussitôt le cîd Abou-Zeid, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen, comme gouverneur du Maghreb central et le fit partir pour cette destination à la tête d'une forte armée. Il ordonna aussi à son amiral, Ahmed le sicilien, de prendre la mer avec la flotte, et il confia le commandement de cette expédition maritime à Abou-Mohammed-Ibn-Ibrahim-IbnDjamê. Les habitants d'Alger, avertis de l'approche des secours, tant par mer que par terre, se soulevèrent contre YahyaIbn-Akhi-Talha et le livrèrent, lui et ses compagnons, au cîd Abou-Zeid. Les prisonniers furent mis à mort sur le bord du Chelif; mais Abou-Zeid épargna Yahya, parce que Talha, l'oncle de ce chef, avait passé [du côté des Almohades]. Yedder Ibn-Aïcha quitta Milîana de nuit, mais les troupes [almohades] se mirent à sa poursuite et l'atteignirent à Omm-el-Alou1. Les Berbères voulant le faire passer [la rivière], livrèrent un combat aux Almobades, mais ils ne purent empêcher leur protégé d'être fait prisonnier, conduit devant le cîd Abou-Zeid et d'être exécuté à

mort.

A peine la flotte almohade fut-elle arrivée au port de Bougie, que Yahya-Ibn-Ghaniâ en fut expulsé par les habitants et alla rejoindre son frère Ali, sous les murs de Constantine. Cette forteresse était déjà réduite à la dernière extrêmité quand le cîd Abou-Zeid, ayant délivré le cîd Abou-Mouça, quitta Tîklat, lieu des environs de Bougie où il s'était campé, et marcha au secours des assiégés. Ibn-Ghanîa se jeta alors dans le Désert, et

1 Cette localité, dont l'exacte position nous est inconnue, devait être située sur le Chelif. Il ne faut pas la confondre avec un endroit du même nom, aux environs de Tlemcen.

les Almohades l'ayant poursuivi inutilement jusqu'à Maggara et Nigaous, reprirent le chemin de Bougie. Pendant que le cîd AbouZeid s'installait dans cette ville, Ibn-Ghanîa s'empara de Cafsa et entreprit le siége de Touzer et de Castîlïa 1. Découragé, enfin, par la résistance qu'il y rencontra, il partit pour Tripoli.

Caracoch-el-Ghozzi -el-Modafferi se trouvait alors dans cette ville. Voici l'histoire de ce chef d'après les renseignements consignés par Abou-Mohammed-et-Tidjani dans son ouvrage intitulé Er-Rihla3. Salah-ed-Din (Saladin), souverain de l'Egypte, avait envoyé son neveu Taki-ed-Dîn, fils de Chahanchah, vers le pays de l'Occident avec la mission d'y prendre autant de villes qu'il le pourrait, afin d'avoir des lieux de retraite en cas d'une guerre avec-Nour-ed-Dîn-Mahmoud, fils de Zingui et souverain de la Syrie. Salah-ed-Dîn était alors vizir de Nour-edDîn, et comme il avait réussi à établir son indépendance en Egypte, il s'attendait à y être attaqué par son ancien maître. Un événement imprévu ayant forcé Taki-ed-Din à rebrousser chemin, Caracoch l'arménien l'abandonna avec une partie des troupes. Son exemple fut imité par Ibrahim-Ibn-Caratikîn, le silahdar (porte-glaive), surnommé El-Moaddemi, parce qu'il avait été attaché au service d'El-Mélek-el-Moad dem-Chems-ed-Dola, fils d'Aïoub et frère de Saladin. Caracoch atteignit Santerïa dont il s'empara en l'an 586 (1190), et le vendredi suivant, il y fit célébrer la prière au nom de Salah-ed-Dîn et de Taki-ed-Dîn.

Après leur avoir envoyé des dépêches renfermant l'annonce de cette conquête, il alla se rendre maître de Zella, d'Audjela et du Fezzan, province qu'il enleva aux Beni-Khattab, famille appar

1 Ibn-Khaldoun s'exprime ici d'une manière incorrecte. Voyez l'index géographique, au mot Castilia.

2 Le mot Caracoch ou Caracouch appartient à la langue turque et signifie, à la lettre : oiseau noir. El-Ghozzi signifie membre de la tribu des Ghozz. Caracoch était client de la famille de Saladin, laquelle appartenait à la race turcomane ainsi que la grande famille des Ghozz. Pour l'origine de ce peuple, voy. l'Histoire des Huns, t. 1, p. 206. 3 On trouvera dans le Journal asiatique d'août-septembre 1852 la traduction de ce rihla (récit de voyage), par M. A. Rousseau. Dans notre premier volume, p. 136, nous avons parlé d'Et-Tidjani.

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