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manger, il examina attentivement l'omoplate du mouton, le tournant, le retournant, et jetant sur Menad des regards étonnés : << Pourquoi me regardes-tu? lui dit Menad; pourquoi examiner cet os de mouton ?—Ce n'est rien; lui répondit l'étranger.— Par Allah il faut que tu me le dise. — As-tu une femme enceinte? Oui, dit Menad. — En as-tu déjà eu des enfants? - Non, mais j'en ai eu d'autres femmes. -Fais les mois voir.» Après les avoir bien examinés il demanda à Menad s'il en avait d'autres." - Je n'ai que ceux-là, répondit Menad. «< Puisqu'il en est » ainsi, aie grand soin de ta femme qui est enceinte, car, par » Allah! elle donnera le jour à un enfant qui deviendra maître >> de tout le Maghreb et dont les fils régneront après lui. — » Par Allah ! s'écria Menad, nous n'avons jamais cessé d'espérer » qu'il naîtrait dans notre famille un enfant tel que tu me l'an>> nonces ; c'est une tradition que nous tenons de nos aïeux, mais >> nous ignorions de quelle branche il sortirait. Tu nous ap>> - prends donc une chose à laquelle nous nous attendions depuis >> longtemps. »

Ensuite, dit l'historien, Menad traita son hôte avec de grands égards jusqu'à ce qu'il se remit en route.

HISTOIRE DE ZÎRI, FILS DE MENad.

L'historien dit: la femme de Menad accoucha d'un fils qui reçut de son père le nom de Zîri. Jamais on ne vit un si bel enfant ; il surpassa même en beauté ses frères dont les formes et les traits étaient si parfaits que, dans le Maghreb, on disait proverbialement d'un bel homme : On le prendrait pour un fils de Menad. Parvenu à l'âge de dix ans, Zîri paraissait en avoir vingt, à cause de sa haute taille et de sa vigueur. Les autres enfants de l'endroit avaient l'habitude de se rassembler autour de lui et de le nommer leur sultan. Ils se mettaient à cheval sur des bâtons pour représenter deux troupes en ordre de bataille, et Zîri les faisait combattre ensemble; puis, il les conduisit chez sa mère pour qu'elle leur donnât à manger. Pendant ces repas, il se tenait debout derrière eux, sans rien prendre.

Quand il fut parvenu à l'âge viril, il profita de l'influence qu'il exerçait sur tous ceux qui l'entouraient pour rassembler plusieurs de ses parents et d'autres personnes d'une bravoure reconnue. A la tête de cette bande, il fit des incursions dans le pays des Zenata, tuant, pillant, enlevant des captifs et du butin qu'il distribua toujours à ses compagnons sans rien réserver pour lui-même. Les autres familles sanhadjiennes virent d'un œil jaloux les exploits de Ziri, parce qu'elles avaient espéré que l'enfant annoncé par le devin naîtrait d'elles, et, convaincues enfin que ce chef était le personnage auquel la prédiction se rapportait, elles se réunirent pour l'écraser. A la suite d'une longue guerre, Zîri demeura vainqueur; il tua une foule d'ennemis, réduisit en servitude beaucoup d'autres et rentra dans sa montagne [à Titeri] chargé de butin.

A la nouvelle de ces événements, les Zenata formèrent une coalition contre Zîri, et écrivirent aux fractions de la tribu de Sanhadja qui lui résistaient encore pour les engager à faire cause commure avec eux. Zîri fut averti de ces menées, et, partant à l'improviste, il entra dans le territoire des Maghîla 1, tomba sur les Zenata pendant la nuit, leur tua beaucoup de monde, fit un grand nombre de prisonniers et rapporta à son lieu de retraite, dans la montagne de Tîteri, une quantité de têtes et de butin. Avec les chevaux pris sur l'ennemi il forma un corps de trois cents cavaliers. Sa renommée remplit bientôt tout le Maghreb; l'accroissement de son pouvoir inspira de vives appréhensions aux habitants de ce pays, et les populations, remplies de crainte, s'attendaient à le voir, d'un moment à l'autre, fondre sur leurs territoires. Tous les esprits insoumis, partisans du désordre, allèrent grossir le nombre de ses troupes, et, voyant enfin que le lieu où il s'était établi ne pouvait plus les contenir, ils l'engagèrent à chercher un autre local où ils seraient plus à leur aise. En conséquence de ces représentations, il se transporta

Les Maghila habitaient les plaines du bas Chelif, depuis la mer jusqu'à Mazouna.

A

sur le lieu où il bâtit, plus tard, la ville d'Achir. Cet endroit était alors inhabité, mais il renfermait plusieurs sources d'eau.

FONDATION D'ACHÎR.

Ziri, ayant examiné cette position, dit à ses compagnons : « Voici l'endroit qui vous convient pour résidence », et il se décida à y bâtir une ville. Ceci se passa en l'an 324 (935-6), sous le règne du khalife fatemide El-Caïm, fils d'El-Mehdi. Il fit alors venir d'El-Mecîla, de Hamza et de Tobna un grand nombre de charpentiers et de maçons, et il se fit envoyer par El-Caïm un architecte qui surpassait en habileté tous ceux de l'Ifrîkïa. Il obtint aussi du même prince une grande quantité de fer et d'autres matériaux. S'étant alors mis à l'œuvre, il acheva la construction de sa ville

Pendant la domination des Aghlebides, les Zenata avaient opprimé les habitants de ce pays, et leur tyrannie n'avait cessé de s'accroître sous les règnes d'El-Mehdi et de son fils El-Caïm. Aussi, quand celui-ci eut appris que Zîri pensait à fonder une ville, il rendit grâces à Dieu en déclarant que le voisinage des Arabes lui serait plus avantageux que celui des Berbères1. Il aida même de tous ses moyens à l'accomplissement de cette entreprise.

Zîri se rendit ensuite à Tobna, à El-Mecîla et à Hamza pour en transporter les principaux habitants à Achîr; de sorte qu'il peupla sa nouvelle capitale et en fit une forteresse inexpugnable. On ne pouvait approcher de cette ville que du côté de l'orient, et, là, dix hommes auraient suffi pour la défendre. Située, d'ailleurs, sur une montagne escarpée, elle n'avait pas besoin de muraille; elle était arrosée par deux sources abondantes d'ex

Si cette parole n'est pas de l'invention d'Ibn-Cheddad, elle prouve que, déjà à cette époque, on croyait que la famille de Zîri était de race arabe.

cellente eau, et comme elle se remplit bientôt de légistes, de savants et de marchands, elle devint très-fameuse 1.

1 NOTE SUR LA MONTAGNE DE TÎTERI, APPELÉE AUSSI EL-KEF-ELAKHDAR (LE ROCHER VERT). Le 1 et le 2 juillet 4850, je longeais le pied méridional de cette montagne rocheuse qui se présente à pic, au Sud, dans une direction Est-Ouest, entre Djebel-ben-Hedjeraïd et Djebel-Kerbouchia. Elle est presque partout impraticable sur cette face, sauf vers l'Est, à El-Bab, où des piétous peuvent passer, et aussi à Tenit-ben-Hedjeraïd. A cette exposition du Midi, le Kef apparaît comme une gigantesque muraille composée d'énormes assises de pierres taillées.

Ben-Yahya, chef de l'aghalik du Sud-Est, me raconta, à cette époque, qu'on trouvait sur le Kef-el-Akhdar une ville ruinée dont les restes sont appelés Menza-bent-es-Soltan; et, en outre, sur la même montagne, une ruine isolée dans le col appelé Fedj-el-Metkelma.

Je ne doutai pas, dès cette époque, que ces vestiges fussent ceux de la ville d'Achir tant et si vainement cherchée; mais, engagé alors dans l'accomplissement d'une mission spéciale qui ne me permettait pas d'entreprendre des recherches incidentes, je dus, à cause de la difficulté d'aborder ces ruines par le Sud, en remettre l'exploration à une autre fois.

Ce fut seulement au mois d'août 1852 que je pus réaliser mon projet. Je m'engageai alors dans l'Atlas par la gorge de l'Oued-el-Djemâa et je gagnai le bordj de Mahi-ed-Din ou Zacuït-bou-Maali, par la montagne des Beni-Zerman. De la porte de la maison des hôtes qui dépend de ce bordj, j'avais le Kef-el-Akhdar devant moi, au plein Sud, le Dira au Sud-Est, et le Ouan-Noura à l'Est-Sud-Est.

Le lendemain, 24 août, j'allai coucher chez le caïd des Oulad-Soltan, et le 23, dans la matinée, j'étais au pied du Kef-el-Akhdar.

Cet immense rocher a la forme d'un lam J, qui serait couché en long de l'Est à l'Ouest, et dont le côté convexe regarderait l'Occident; on pourrait encore le comparer à un hameçon ou crochet. L'espace compris entre la grande et la petite branche du lam est ce que les Arabes appellent kheneg ou défilé. Du fond de cet étranglement sort un ruis... seau appelé Oued-Khorza, `ou rivière du défilé, une des branches supérieures de l'Isser. On cotoie, pendant près d'une heure, sur des couches de grès, la rive gauche de cet Oued, avant d'atteindre le fond de l'impasse étroite et abrupte formée par la concavité du lam. Là, sur un rocher qui surplombe, sont les ruines d'une forteresse qui domine, à la fois, deux sentiers : celui de gauche, et le plus difficile, conduit aux ruines appelées Menza-bent-es-Soltan; l'autre inène chez les OuladSidi-Mohammed, qui sont établis sur le seul terrain cultivable qu'on

A cette époque, les habitants n'employaient ni or, ni argent dans leurs ventes et achats ; mais ils échangeaient des chameaux,

rencontre dans cette montagne rocheuse, en dehors des rives de l'OuedKhorza.

L'ascension est des plus pénibles pour arriver aux ruines de la citadelle d'Achir, car tout porte à croire que la célèbre ville de ce nom était, en effet, située à cet endroit, au moins dans le principe. Après plus d'une heure d'efforts, où les mains doivent plus d'une fois venir au secours des pieds, sur ces strates fort inclinées d'un grès assez glissant, on arrive à un petit plateau rocheux où sont les ruines arabes d'une vaste fortification en pierres, d'une espèce de Casba. Elles dominent à peu près à pic le plateau doucement incliné auquel conduit le deuxième sentier dont il a été question précédemment. Sur ce dernier plateau, on aperçoit des cultures, deux sources et des gourbis habités par des familles de marabout des Rebaïa, des Oulad-Sidi-Mohammed, dits Ahl-el-Kef, ou gens du Rocher.

Tout porte à croire que le plateau rocheux où se voient les ruines d'une Casba a été l'emplacement primitif d'Achîr et que le deuxième plateau en plan incliné, qui s'étend au-dessous et au Nord, a été le siége du nouvel Achîr dont parle Nouaïri, et qui fut fondé parce qu'il devenait impossible de recevoir dans le premier toute la population qui se présentait. L'étude des localités rend parfaitement compte de ces diverses circonstances.

Je ferai remarquer que le plateau d'Achîr avait conservé sous le pouvoir turc son importance stratégique au point de vue de la révolte. Quand les Oulad-Alan voulaient se soustraire à la nécessité de payer l'impôt, ils se réfugiaient dans cette partie du Kef-el-Akhdar où l'on ne pouvait pas les forcer. La tactique employée par les Hossain, tribu turbulente dont Ibn-Khaldoun fait souvent mention, s'était conservée traditionnellement dans le pays.

Le Kef-el-Akhdar appartient, le côté occidental, aux Oulad-Alan, et, le côté oriental, aux Beni-Sliman.

Le nom de Titeri tach, que cette montagne portait sous les Turcs, signifie Rocher de Titeri. Le nom de montagne de Titeri n'appartient, à proprement parler, qu'à la partie occidentale du Kef-el-Akhdar, celle qui est aux Oulad-Alan et aux Rebaïa.- Le mot Achir, en berbère Yechir, signifie griffe et s'applique à de fortes positions militaires qui sont comme la griffe dont le vainqueur menace sans cesse le vaincu. C'est une appellation assez commune en Algérie. El-Idrîci place, avec raison, l'Achîr de Zîri (Achîr-Ziri) à une journée à l'Est du pays des Beni-Modjeber, ou Moudjebeur, où l'on vient d'installer le zmala des spahis, entre Csar-Bokhari et le confluent du Chelif et du OuedHokeum. (Note communiquée par M. Berbrugger.)

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