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Abou-Fares, l'aîné de tous, se fit d'autant plus remarquer que son père l'avait formellement désigné comme héritier du trône. Au nombre de ceux qui avaient mérité sa reconnaissance et son amitié se trouvèrent deux frères, Ahmed et Abou-'l-Hocein, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas-el-Yameri et membres d'une des premières familles de Séville. Leur père savait par cœur et enseignait les traditions relatives au Prophète; comme legiste il suivait les opinions de Dawoud1 et, à l'exemple des docteurs de cette école, il se tenait strictement à la lettre de la loi.

De toutes les villes de l'Espagne, Séville fut celle qui entretenait les rapports les plus suivis avec l'émir hafside AbouZékérïa et avec ses descendants; conséquence naturelle de la souveraineté que ce prince avait exercée dans l'Andalousie occidentale. Aussi, quand le roi chrétien s'acharna sur ce pays dont il enlevait les forteresses, dévastait les campagnes et menaçait les grandes villes, les chefs des principales familles musulmanes et les savants les plus illustres de l'Espagne passèrent dans les deux Maghrebs, et surtout en Ifrîkïa, afin de se rendre à Tunis, siége du puissant empire des Hafsides. Le traditionniste Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas, prévoyant que la désorganisation des états musulmans d'Espagne et l'imprévoyance des habitants devaient amener une grande catastrophe, prit la résolution d'émigrer à Tunis où il avait eu autrefois des relations avec les khalifes hafsides. Accueilli honorablement par le sultan [El-Mostancer], il devint professeur de jurisprudence dans le collége situé auprès des Bains du Bel-Air (Hammam-el-Houa) et fondé par Omm-el-Khalaïf, mère du sultan.

Ahmed et Abou-'l-Hocein furent élevés dans le palais, aux frais du gouvernement, en considération des services que leur

1 Abou-Soleiman-Dawoud, fondateur de l'école des Daherites, c'està-dire extérieuristes, qui négligeaient l'esprit de la loi pour s'en tenir à la lettre, naquit à Koufa en l'an 202 (817-8). Il fit ses études à Baghdad; il y enseigna ses doctrines et il y mourut en 270 (884). On trouvera une notice de ce docteur dans ma traduction anglaise du Dictionnaire biographique d'Ibn-Khalikan, vol. 1, p. 501.

père Abou-Bekr avait rendus à la famille royale; mais, au lieu de cultiver les sciences, ils recherchèrent les biens de ce monde et ambitionnaient de hautes positions dans l'administration de l'État. S'étant adressés aux fils d'Abou-Ishac, qui étaient alors détenus dans le palais, ils gagnèrent leur confiance et furent admis à leur service; aussi, quand Abou-Fares fut déclaré héritier du trône avec le rang de vizir, Ahmed se vit comblé d'honneurs par le jeune prince, dont il devint aussi le chambellan. Abou-'l-Hocein, de son côté, parvint à un aussi haut degré de faveur que son frère. Une si brillante fortune excita l'envie des courtisans; on chercha à jeter de l'inquiétude dans l'esprit du sultan et à l'indisposer contre son fils qui, disait-on, conspirait avec Ahmed-Ibn-Séïd-en-Nas dans le but de s'emparer de l'empire. Le principal meneur de cette cabale fut Abd-el-OuehhabIbn-Caïd-el-Kelaï, l'un des secrétaires d'État et chargé alors d'écrire le paraphe impérial. Le sultan ajouta foi à ces dénonciations et, dans le mois de rebiâ second, 679 (août 1280)1, il envoya chercher Ahmed et le fit tuer à coups de sabre. Le cadavre fut jeté dans un souterrain. Quand l'émir Abou-Fares apprit cette nouvelle, il revêtit des habits de deuil, monta à cheval et se rendit au palais. Le sultan essaya de dissiper la douleur de son fils en lui déclarant qu'il avait découvert la perfidie d'IbnSeïd-en-Nas et ses complôts contre l'État. En même temps il enleva de se propres mains l'habillement noir dont le prince s'était couvert.

Abou-'l-Hocein fut assez heureux pour échapper à la mort : après s'être caché pendant quelques jours, il avait été arrêté ainsi que plusieurs autres serviteurs et intimes d'Abou-Fares ; mais, au bout d'un certain temps, il fut remis en liberté. Dans la suite de cette histoire nous aurons encore à parler de lui.

Le sultan fit tout ce qui lui était possible pour rassurer l'esprit de son fils et, voulant effacer jusqu'aux dernières traces du mécontentement qui pouvaient rester dans le cœur du jeune prince,

1 Ici et plus loin, notre auteur a mis, par mégarde, la date de 669.

il le nomma souverain absolu de la ville et province de Bougie. Abou-Fares partit pour sa destination, emmenant avec lui, en qualité de chambellan, mon aieul Mohammed, fils du ministre des finances, Abou-Bekr-Ibn-Hacen-Ibn-Khaldoun. Ce fut au sultan que mon parent dut sa nomination. Abou-Fares quitta Tunis, l'an 679, et alla prendre possession de son gouvernement.

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Abou-Bekr-Ibn-Mouça-Ibn-Eïça, surnommé Ibn-Ouezìr, appartenait à une bonne famille almohade de la tribu de Koumia. Sous le règne d'El-Mostancer, il avait été au service d'Ibn-Gueldacen, cheikh almohade et successeur d'Ibn-en-Noman dans le gouvernement de Constantine. Demeuré à Constantine comme lieutenant de son patron qui s'était rendu à Tunis, il remplit les devoirs de cette place avec autant d'habileté que de fermeté. Désigné ensuite par le sultan au gouvernement de cette ville, il occupa ce poste assez longtemps. Quand l'agitation produite par la mort d'El-Mostancer se fut calmée, le sultan El-Ouathec confirma cette nomination, et son successeur, Abou-Ishac, en fit autant. Avide des grandeurs, ce fonctionnaire se laissa emporter par l'ambition, et, sachant que Constantine était la place la plus forte de la province, il conçut la pensée de s'y maintenir comme chef indépendant. Les habitants de la ville furent bientôt accablés par ses exactions, et ils exposèrent leur situation au sultan Abou-Ishac en le priant de leur porter secours; mais, ce prince, ayant remarqué dans la conduite du gouverneur, Ibn-Quezîr, certains traits qui annonçait un esprit peu dispos à l'obéissance, se garda bien de répondre à leurs sollicitations. Comme IbnOuezîr écrivit aussi pour se disculper des actes dont on l'accusait, le sultan jugea convenable de cacher son mécontentement et de fermer les yeux sur ce qui se passait.

En l'an 679 (1280-1), l'émir Abou-Fares passa auprès de

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Constantine pour se rendre à Bougie, siége de son gouvernement. Ibn-Ouezîr évita d'aller à sa rencontre et lui fit porter ses excuses les plus humbles par une députation composée des dévots de la ville. Cette démarche eut le succès qu'il désirait; le prince s'en montra satisfait et continua sa route.

Quand Abou-Fares fut arrivé à Bougie, Ibn-Ouezîr crut avoir trouvé le moment opportun pour usurper le pouvoir, et il demanda par écrit au roi d'Aragon l'envoi d'un corps de troupes chrétiennes qui s'établirait à Constantine et ferait des incursions sur le territoire du sultan. On dit même que, moyennant ce secours, il s'engagea à servir les intérêts du roi en agent dévoué. Le monarque chrétien accueillit cette proposition et annonça l'envoi d'une flotte.

Vers la fin de l'an 680 (mars-avril 1282), Ibn-Ouezîr leva le masque et se fit proclamer souverain à Constantine. L'émir AbouFares partit aussitôt de Bougie à la tête de son armée, et, ayant rallié autour de lui une foule de guerriers arabes et de cavaliers fournis par les tribus, il alla camper à Mîla. Là il reçut une députation de cheikhs de Constantine chargés, par l'usurpateur, de lui présenter des souhaits, bien peu sincères, d'amitié et de réconciliation. Le prince refusa de les écouter et marcha sur Constantine où il arriva dans la matinée du premier jour du mois de Rebîa 681 (9 juin 1282). Ayant alors rassemblé des ouvriers, il commença le siége et dressa ses catapultes, pendant que ses archers occupaient des positions plus rapprochées de la ville. L'attaque avait duré à peu près un jour, quand un détachement sous les ordres de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, escalada les murs et pénétra dans la place. Ibn-Ouezîr soutint l'assaut avec une bravoure extrême, mais, ayant eu la retraite coupée, il mourut ainsi que son frère et tous ses partisans. Leurs têtes furent plantées sur les murailles de la ville. Abou-Fares y fit alors son entrée et parcourut les rues afin de rétablir l'ordre et rassurer les esprits. Il fit ensuite réparer les murailles et les ponts. S'étant installé dans le palais, il expédia un courrier à la capitale pour annoncer cette victoire à son père. La flotte chrétienne arriva au port de Collo, lieu de rendez

T. II.

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vous qu'Ibn-Ouezîr lui avait assigné, mais cette entreprise n'eut aucun résultat 1.

Trois jours après la réduction de Constantine, Abou-Fares repartit pour Bougie où il arriva vers la fin du mois de Rebiâ.

LES FILS DU SULTAN MÊNENT DES EXPÉDITIONS DANS LES

PROVINCES.

L'affection que le sultan portait à ses fils, jointe à son désir de les habituer à l'exercice de pouvoir, le décida à leur donner une haute position dans l'état. Au mois de Redjeb 681 (octobre-novembre 1282) il confia à son fils Abou-Zékérïa le commandement d'un corps d'armée, composé de troupes almohades et de milices. Le jeune prince partit alors pour Cafsa afin d'examiner l'état des provinces méridionales de l'empire et d'en faire rentrer les impôts. Cette tâche accomplie, il revint à Tunis dans le mois de Ramadan (décembre) de la même année. Son frère, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, reçut ensuite le commandement d'une colonne et passa dans le pays des Hoouara afin d'y prélever les impôts, contributions, droits et amendes. Abd-elOuehhab-Ibn-Caïd-el-Kelaï accompagna cette expédition afin d'en diriger les opérations et servir d'intermédiaire entre le

1 En l'an 1282, le roi Pierre d'Aragon se trouvait, avec sa flotte, à Collo où il s'était rendu sur l'invitation de Bolboquer (Abou-Bekr-IbnQuezir), afin de faire la guerre à Mirabusac (l'émir Abou-Ishac), quand il apprit la nouvelle des Vêpres siciliennes. Il partit aussitôt pour Palerme où il se fit couronner roi de Sicile. Pour l'histoire de cette expédition africaine, on peut consulter l'Histoire de Catalogne, par Bernard d'Esclot, texte catalan, publié par M. Buchon; Chroniques étrangères; Paris, 1840. Chap. 77 à 89. 2 Chroniques de Ramon Muntaner, version française, par M. Buchon, chap. 44 à 85.- 3° Sabæ Malaspina hist. Siciliæ, apud Gregorio, Bibloth. Script. qui res in Sicilâ gestas sub Aragon. imperio retulere. Panormi, 1791, in-fol. t. I, p. 361 à 4099. Je dois ces indications à l'obligeance de M. Amari, le savant historien des Vêpres siciliennes, ouvrage dont on peut aussi consulter l'édition de Florence, 1851. Parmi les appendices de ce volume, nous espérons pouvoir donner quelques extraits de Malaspina.

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