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aux Almohades et dont les membres leur enlevaient les meilleurs emplois de l'empire.

Pour parvenir à ses fins, Ibn-Abi-Mehdi s'adressa d'abord aux frères du feu sultan, et chercha à leur inspirer le regret d'avoir laissé échapper le pouvoir. N'ayant obtenu aucun encouragement de leur part, il se retourna vers le fils de Mohammed-el-Lihyani, et l'ayant décidé à le seconder, il le reconnut pour souverain et lui prêta secrètement le serment de fidélité en l'assurant que les moyens d'exécuter leur projet ne manqueraient pas. Mohammed-el-Lihyani découvrit la trahison de son fils et en informa le sultan, pendant que le cadi Abou-Zeid-et-Touzeri, fidèle aussi à son devoir, lui fit parvenir la même nouvelle.

Le vingtième jour du mois de Djomada [premier] de l'an 648 (août 1250), Ibn-Abi-Mehdi se rendit de bou matin à la porte du palais, où il devait donner audience au public en sa qualité de vizir. Ayant alors fait arrêter son collègue Abou-Zeid-IbnDjame, il se rendit avec les chefs almohades à la maison où demeurait le fils d'El-Lihyani, et lui prêta le serment de fidélité. Le sultan fit aussitôt monter ses partisans à cheval et donna au caïd Dafer, son affranchi, l'ordre d'attaquer les rebelles. Ces troupes en vinrent aux mains avec les Almohades dans le Mosalla2, en dehors de la ville, et les mirent en pleine déroute. Cette rencontre coûta la vie à Ibn-Abi-Mehdi et à Ibn-Ouazguelden. Dafer se dirigea ensuite vers la maison d'El-Lihyani, oncle du sultan, et le fit mourir ainsi que son fils, le même auquel les conjurés avaient engagé leur foi. Il prit alors leurs têtes pour les porter au sultan, et ayant rencontré en chemin Ibrahim, l'autre oncle, accompagné de son fils, il leur ôta également la vie. Les maisons des Almohades furent livrées au pillageet détruites de fond en comble.

Quand la sédition fut étouffée et l'agitation apaisé, le sultan prodigua des récompenses à ses amis et partisans. Il rétablit aussi dans le vizirat Abd-Allah-Ibn-Abi-'l-Hocein, le même qui,

1 Je lis fedakhel, à la troisième forme.

2 Voy. tome 1, p. 372.

T. II.

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à l'avènement du prince, avait dû céder devant l'ambition d'IbnAbi-Mehdi et quitter non-seulement sa place mais la ville. Tout rentra alors dans l'ordre.

Quelque temps après, les ennemis de Dafer complotèrent sa perte et représentèrent au sultan l'extrême illégalité de la conduite tenue par cet affranchi, qui avait ordonné la mort des oncles du souverain, bien que leur innocence fût parfaitement reconnue. Prévenu de ces intrigues, et craignant la colère de son maitre, Dafer prit la fuite et chercha un refuge chez les Douaouida. Hilal, client de Dafer, qui avait le plus contribué à le desservir, obtint alors du sultan la place de caïd (général en chef). Dafer continua pendant quelque temps à vivre en proscrit sous la protection des Arabes.

MONUMENTS DU RÈGNE DE CE SULTAN.

Parmi les constructions vraiment royales qui s'élevèrent sous les auspices d'El-Mostancer, nous devons signaler d'abord le parc de chasse qu'il forma auprès de Benzert, en l'an 650 (1252-3). Une vaste étendue de terrain, située dans la plaine, fut entourée d'une clôture afin de procurer un séjour tranquille à de nombreux troupeaux de bêtes fauves. Quand le monarque voulait se donner le plaisir de la chasse, il entrait à cheval dans ce parc, accompagné de quelques-uns des affranchis attachés à sa personne et de plusieurs fauconniers ayant avec eux des faucons, des sacres, des chiens slougui et des léopards. Comme la clôture empêchait le gibier de s'échapper, le sultan pouvait s'amuser toute la journée au gré de ses désirs et courir dans un parc magnifique dont le pareil n'existait pas au monde.

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Voulant procurer aux dames de son harem la facilité de se

:

1 C'est-à-dire des levriers. En Ecosse, le même mot est employé pour désigner le limier de la grosse espèce.

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rendre du palais au jardin de Ras-et-Tabïa sans être exposées aux regards du public, il fit élever une double muraille depuis le palais jusqu'au jardin. Ces murailles avaient dix coudées de hauteur, et l'intervalle qui les séparait avait aussi dix coudées et formait une voie de communication. Cette construction était bâtie avec tant de solidité qu'elle promettait de durer aussi longtemps que l'empire.

Ensuite il fit élever dans l'avant-cour de son palais le pavillon appelé Cobba Asarak (coupole asarak). Ce dernier mot appartient à la langue des Masmouda et signifie large et vaste. Cet édifice forme un portique large et élevé, dont la façade, tournée vers le couchant, est percée d'une grande porte à deux battants artistement travaillés en bois et d'une telle grandeur que la force réunie de plusieurs hommes est nécessaire pour les ouvrir et les fermer. Dans chacun des deux côtés qui touchent à celui de la façade s'ouvre une porte semblable à celle que nous venons de décrire. La porte principale est [ainsi] du côté de l'occident et donne sur un énorme escalier d'environ cinquante marches. Cet escalier est aussi large que le portique, et sa direction transversale est du nord au sud. Les deux autres portes s'ouvrent sur des allées qui se prolongent jusqu'au mur d'enceinte et reviennent ensuite aboutir dans la cour même. Lors de la présentation des chevaux de tribut 2, et pendant la revue des troupes, ainsi qu'aux jours de fête, le sultan se tient dans ce pavillon, assis sur son trône, en face de la grande porte d'entrée. Ce bâtiment, aussi remarquable par la beauté de son architecture que par ses vastes dimensions, offre un témoignage frappant de la grandeur du prince et de la puissance de l'empire.

Dans le voisinage de la capitale il forma un jardin auquel il donna le nom d'Abou-Fehr et que l'admiration universelle a

Ce jardin touchait à la ville de Tunis; mais, comme les autres monuments décrits ici, il a totalement disparu.

2 La leçon el-God est la bonne. Encore aujourd'hui, les chevaux présentés au gouvernement par les tribus qui font leur sonmission s'ap... pellent kheil-el-gada.

rendu célèbre. On y voyait une forêt d'arbres dont une partie servait à garnir des treillages pendant que le reste croissait en pleine liberté. C'étaient des figuiers, des oliviers, des grenadiers, des dattiers, des vignes et d'autres arbres à fruit; puis, les diverses variétés d'arbrisseaux sauvages, tels que le jujubier et le tamarisc, et tout cela disposé de manière à former de chaque espèce un groupe à part. On donna à ce massif le nom d'Es-Chára (le bocage). Entre ces bosquets se déployaient des parterres, des étangs, des champs de verdure ornés de fabriques et couverts d'arbres dont les fleurs et le feuillage charmaient les regards. Le citronnier et l'oranger mêlaient leurs branches à celles du cyprès, pendant que le myrte et le jasmin souriaient au nénufar. Au milieu de ces prairies, un grand jardin servait de ceinture à un bassin tellement étendu qu'il paraissait comme une mer. L'eau y arrivait par l'ancien aqueduc; ouvrage colossal qui s'étend depuis les sources de Zaghouan jusqu'à Carthage et dont la voie passe tantôt au niveau du sol et tantôt sur d'énormes arcades à plusieurs étages, soutenus par des piles massives et dont la construction remonte à une époque très-reculée. Ce conduit part d'une région voisine du ciel, et pénètre dans le jardin sous la forme d'un mur; de sorte que les eaux, sourdissant d'abord d'une vaste bouche pour tomber dans un grand et profond bassin de forme carrée, construit de pierres et enduit de plâtre, descendent par un canal assez court jusqu'au bassin [du jardin] qu'elles remplissent de leurs flots agités. Telle est la grandeur de cette pièce d'eau que les dames du sultan trouvent moins de plaisir à se promener sur le rivage que de s'asseoir chacune dans une nacelle et de la pousser en avant, afin de remporter sur ses compagnes le prix de la vitesse. A chaque extrêmité du bassin s'élève un pavillon, l'un grand, l'autre petit, soutenus, tous deux, par des colonnes de marbre blanc et revêtus de mosaïques en marbre. Les plafonds sont en bois artistement travaillé et se font admirer Ieur conspar truction solide autant que par la beauté des arabesques dont ils sont ornés. En somme, les kiosques, les portiques, les bassins de ce jardin, ses palais à plusieurs étages, ses ruisseaux qui

coulent à l'ombre des arbres, tous les soins prodigués à ce lieu enchanteur, le rendaient si cher au sultan que, pour mieux en jouir, il abandonna pour toujours les lieux de plaisir construits par ses prédécesseurs. Rien ne fut négligé, de son côté, pour augmenter les charmes d'un endroit dont la renommée devait remplir l'univers.

ABOU-ISHAC, FRÈRE DU SULTAN, S'ENFUIT CHEZ LES RÍAH.

Le sultan El-Mostancer craignait beaucoup l'ambition de son frère Abou-Ishac, et, pour se garantir contre lui, il le tenait en surveillance et le traitait avec une rigueur et une sévérité extrêmes. En l'an 651 (1253-4), il sortit avec ses troupes pour arranger quelqu'affaire qui intéressait l'état, et, pendant sa marche, Abou-Ishac réussit à s'enfuir du camp et à passer chez les Douaouida, branche de la tribu de Rîah. Les membres de cette puissante famille lui prêtèrent le serment de fidélité à Zeraïa', endroit situé dans les dépendances de Nigaous. Parmi les personnes qui se rallièrent ensuite à sa cause, Abou-Ishac reconnut avec plaisir un ancien serviteur de son père, l'affranchi Dafer, dont le dévouement et le rang élevé lui semblaient dignes des plus hauts égards. Les insurgés allèrent alors mettre le siége devant Biskera et reçurent dans leurs rangs Fadl-Ibn-Ali-Ibnel-Hacen-Ibn-Mozni, l'un des cheikhs de la ville. Cet homme s'était tout d'abord prononcé en faveur d'Abou-Ishac et dut passer du côté des assiégeants parce que les autres notables de la place avaient tenu conseil pour le faire mourir. Sa défection entraîna la soumission de Biskera. Cette conquête achevée, les alliés d'Abou-Ishac partirent pour Cabes, et, pendant qu'ils tâchaient de réduire cette forteresse, ils reçurent l'appui d'une foule d'Arabes nomades qui leur arrivèrent de tous les côtés.

Les manuscrits et le texte imprimé portent, à tort, Rouaïa.

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