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auprès de celle des Hintata. Dans le temps de la dynastie almohade, elle obéissait à la famille Sâd-Allah. Quand les Mérinides travaillèrent à subjuguer les peuples masmoudiens et à les soumettre aux impôts, Yahya, fils de Sàd-Allah, leur offrit quelque résistance dans Taferga et Tîsekht, forteresses situées dans la montagne des Guedmîoua. Bien qu'il eut été abandonné par son collègue Abd-el-Kerîm-Ibn-Eïça et par la famille de ce chef, il continua, toute sa vie, à combattre les armées qu'on envoyait contre lui. Après sa mort, en l'an 694 (1294-5), les troupes du sultan Youçof-Ibn-Yacoub détruisirent ses châteaux et domptèrent sa tribu. Abd-el-Kerîm, qui était passé aux Mérinides sous le règne de Yacoub, père de Youçof, reçut alors de celui-ci le commandement de la tribu. Plus tard, quand on arrêta les émirs masmoudiens, Abd-el-Kerîm fut mis en prison avec les autres et il y était encore quand Ibn-el-Miliani, qui avait hérité de la haine de son oncle contre les Masmouda, ourdit une trame odieuse qui leur coûta la vie à tous : il forgea une lettre [ordonnant la mort des prisonniers] et l'envoya au prince Ali, fils du sultan et émir de Maroc. Abd-el-Kerîm fut une des victimes de cette machination, et, avec lui, moururent ses fils Eïça, Ali et Mansour et son neveu Abd-el-Azîz-Ibn-Mohammed. Ce forfait remplit le sultan de l'indignation la plus vive; mais Ibn-elMilîani échappa à sa vengeance en désertant l'armée qui assiégeait Tlemcen et en se réfugiant dans cette ville.

Sous le règne d'Abou-'l-Hacen et sous celui de son fils AbouEinan, le commandement des Guedmîoua fut exercé par Abd-elHack, fils de......2, membre de la famille Sâd-Allah. Ce chef eut à soutenir une guerre contre Amer-Ibn-Mohammed, guerre amenée par les causes ordinaires qui mettent la discorde entre tribus voisines; savoir, la proximité de leurs territoires et le souvenir de leurs anciennes querelles. Quand Amer devint gouverneur de Maroc et commandant en chef des tribus masmoudiennes, il

1 Dans l'histoire des Mérinides, on trouvera un chapitre sur Ibn-elMilîani et son oncle.

Il y a ici un blanc dans les manuscrits.

rompit la trève qu'il avait conclue avec Abd-el-Hack et l'accusa d'insubordination et de complicité avec [Abd-Allah]-es-Sekcîoui, brandon de révolte qui s'était toujours montré insoumis depuis les premiers temps de la dynastie mérinide. Il marcha contre lui, l'an 757 (1356), à la tête de son peuple et de la garnison que le sultan avait installée dans Maroc. Après qu'il eut emporté d'assaut le lieu où Abd-el-Hack s'était enfermé, il le fit mourir et contraignit les Guedmîoua à faire leur soumission.

Les autres membres de la famille Sâd-Allah se rendirent alors à Fez où ils continuèrent à demeurer jusqu'à l'époque où le sultan Abou-Salem traversa le Détroit pour s'emparer du trône qu'avait occupé son frère Abou-Einan. Quand il débarqua chez les Ghomara, Youçof, fils de Sâd-Allah, gagna ses bonnes grâces par l'empressement avec lequel il courut le joindre. Ayant consolidé son autorité par la prise de la Ville-Neuve [de Fez], il récompensa le dévouement de Youçof en lui accordant le commandement des Guedmîoua.

La ville de Maroc reçut pour gouverneur Mohammed-Ibn-Abi'1-Ola, officier de la suite du sultan et membre d'une famille qui avait souvent commandé en Maghreb. Abou-Salem l'avait choisi pour remplir ce poste, pensant qu'il pouvait y rendre de grands services. Après la mort de ce prince, [le vizir] Omar-Ibn-AbdAllah usurpa toute l'autorité, et, voulant s'assurer l'appui d'Amer-[Ibn-Mohammed], il lui expédia le brevet de gouverneur des provinces marocaines. Amer descendit alors à Maroc et y fit mourir Youçof-Ibn-Sâd-Allah; il destitua, en même temps, IbnAbi-'l-Ola et, bientôt après, il lui ôta la vie1.

Par suite de ces événements, les Guedmîoua demeurèrent sans influence pendant quelque temps; mais plus tard, ils recouvrerent leur importance politique par la rentrée de la famille SâdAllah au commandement.

1 Notre auteur ajoute ici : et l'envoya rejoindre son père Abd-el-Hack (dans l'autre monde). Cette phrase est de trop et ne peut se rapporter ni à Youçof-Ibn-Sâd-Allah, ni à Ibn-Abi-'l-Ola dont le père se nommait Ibn-Abi-Talha.

le

Les Ourika. Les Ourîka sont voisins des Hintata. Depuis longtemps ces deux peuples s'étaient fait une guerre dans laquelle sang coulait à flots et chaque parti remportait alternativement la victoire. Beaucoup de monde avait péri dans ces conflits quand les Hintata, profitant, enfin, de la puissance dont ils venaient d'être investis comme tribu chargée du commandement, réussirent à vaincre leurs adversaires et à les faire entrer dans la masse [des peuples tributaires].

Les Sekcioua. - Les Sekcioua forment la section la plus considérable de la tribu des Guenfîça laquelle est la plus grande de celles dont se compose le peuple masmoudien. Les autres sections guenfîciennes épuisèrent leurs forces pour soutenir l'autorité de l'empire almohade et perdirent ainsi tous leurs guerriers, sort analogue à celui des peuples qui, avant eux, prêtèrent appui aux dynasties sorties de leur sein; mais les Sekcîoua conservèrent toujours un haut rang parmi les populations almohades, tant par la force qu'ils tiraient de leur nombre, que par la domination qu'ils exerçaient sur les tribus voisines. Aimant les usages de la vie agreste, jamais ils n'adoptèrent les habitudes que le luxe avait introduites parmi les autres peuples almohades; jamais ils ne cédèrent, comme eux, aux séductions de l'aisance et aux douceurs de la mollesse.

La montagne qu'ils habitent forme la cime la plus élevée de l'Atlas et leur offre un asile que des châteaux forts, des rochers sourcilleux et des pics élancés rendent inviolable; elle touche à la voûte céleste et cache dans un voile de nuages sa tête couronnée d'étoiles. Ses flancs servent de retraite aux orages; ses oreilles entendent les discours qui se prononcent dans le ciel ;

1 L'auteur emploie ici le terme El-Ablek-el-Ferd (le gris, l'unique), nom du château fort dans lequel Samouel, fils d'Adía, se maiutint contre le prince ghassanide, El-Hareth-Ibn-Abi-Chammer. Tous les musulmans ayant quelque instruction connaissent l'histoire du juif Samouel qui laissa égorger son fils plutôt que de violer sa parole et livrer le dépôt que le poète Emro-el-Caïs lui avait confié. — Voy. l'Essai de M. C. de Perceval, t. 1. pp. 349, 323.

son faîte domine l'Océan; son dos sert d'appui au Désert du Sous, et, dans son giron reposent les autres montagnes du Deren.

Les Mérinides ayant renversé l'empire almohade, subjuguèrent les tribus masmoudiennes et les accablèrent d'impôts et de contributions. Pendant que les vaincus cédèrent à la puissance qui pesait sur eux et se résignèrent à l'obéissance, les Sekcioua se tinrent dans leur montagne, à l'abri de toute attaque, et gardèrent une position qui les rendit formidables. Jamais ils n'entrèrent au service des Mérinides; jamais ils ne se laissèrent commander par ce peuple, et jamais ils ne dressèrent chez eux l'étendard de cette dynastie; repoussant toujours l'autorité de l'empire, ils lui offrirent une résistance continuelle. Quand des troupes marchaient contre eux, quand des armées s'acharnaient à les attaquer, ils s'en débarrassaient par un acte de soumission apparente et par un don volontaire. Ils payaient l'impôt à leur chef et, pour le protéger, ils gardaient les défilés de leur montagne. Quelquefois même ils marchaient, par ses ordres, contre les autres tribus de l'Atlas et contre les peuples voisins, habitants de la plaine du Sous. Dans ces expéditions, leur chef se faisait accompagner aussi par des Guenfica et même par des levées faites chez les Hareth, tribu sofyanide, ou bien, chez les Chebanat, tribu makilienne, et chez les autres Arabes nomades qui occupaient le territoire du Sous.

Autant que nous pouvons nous le rappeler, les Sekcioua eurent pour chef, lors de la chute [de la dynastie] d'Abd-el-Moumen, un personnage nommé Haddou-Ibn-Youçof. Ce nom de Haddou, dans le langage des Berbères 1, est l'équivalent d'Abd-el-Ouahed (serviteur du Dieu unique). Haddou se fit une grande réputation par sa fermeté et son esprit d'indépendance. Il mourut en 680 (1281-2), sous le règne de Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack. Son fils Omar, qui marcha sur ses traces, portait le surnom d'Aguellid, mot qui, dans leur langue, signifie sultan. Il protégea son territoire contre les Mérinides et leur résista avec succès dans sa montagne. Attaqué par les armées de Youçof-Ibn-Yacoub et

1 Le texte arabe porte Aadjemïîn, c'est-à-dire non-arabes, barbares.

d'Abou-Saîd, frère et [troisième] successeur de Youçof, il maintint son indépendance malgré tous leurs efforts. Amateur passionné de l'étude, il s'était acquis un vaste fonds de savoir et avait formé une grande collection de livres et de recueils de poésie. Il sut par cœur les principes de la jurisprudence jusque dans leurs développements, et l'on dit qu'il put même réciter de mémoire l'ouvrage intitulé le Modauwena. Il aimait aussi la philosophie dont il avait étudié les divers traités, et il s'était occupé avec ardeur des sciences qui en dérivent, telles que l'alchimie, la fantasmagorie et la magie blanche. Il connaissait les lois religieuses des anciens et les livres sacrés du peuple israélite; il se plaisait même à un tel point dans la société des rabbins, qu'on soupçonnait son orthodoxie et qu'on l'accusait de vouloir abandonner sa religion.

Abd-Allah, son fils et successeur, suivit la même voie et cultiva surtout la magie et l'alchimie. Quand le sultan Abou-'l-Hacen se fut dégagé des tracas que lui avait suscités son frère [Abou-Ali] Omar, et qu'il eut rétabli l'ordre dans les provinces du Maghreb, il fit attaquer Abd-Allah dans sa montagne par un corps d'armée, et après avoir ravagé les terres de ce chef en y lançant sa cavalerie, il coupa ensuite le chemin aux secours que les Arabes du Sous auraient pu lui faire passer. Il eut d'autant moins de peine dans l'exécution de cette tâche qu'il venait de soumettre ces Arabes et d'établir des gouverneurs et des garnisons chez eux. Abd-Allah-es-Sekcîoui se vit enfin contraint de faire une honorable soumission, et après avoir livré son fils comme ôtage, il conclut une paix avec le sultan, à la condition que de chaque côté l'on se ferait des cadeaux.

Lors du revers subi par Abou-'l-Hacen à Cairouan et des troubles qui éclatèrent en Maghreb aussitôt après, les cheikhs masmoudiens, voyant les provinces marocaines laissées sans chefs et sans défense, formèrent le projet de quitter leurs montagnes et de marcher sur Maroc. Un engagement solennel fut pris

1 Ce mot signifie enregistrés, rassemblés en recueil. L'ouvrage ainsi nommé est un des plus anciens traités du droit malėkite.

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