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changeant ensuite d'avis, il revint sur ses pas et embrassa la cause des Almohades. S'étant ainsi concilié la faveur d'EnNacer, il monta graduellement au faîte des honneurs et mourut dans la journée d'El-Ocab.

En-Nacer établit Mohammed-Ibn-Yaghmor-el-Herghi dans El-Mehdia comme gouverneur; il confia, en même temps, le gouvernement de Tripoli à Abd-Allah-Ibn-Ibrahîm-Ibn-Djamê, et, rentré à Tunis, il continua à y faire son séjour jusqu'à l'an 603 (4206).

Son frère, le cîd Abou-Ishac, qu'il envoya à la poursuite de l'ennemi, soumit les contrées situées au-delà de Tripoli et passa au fil de l'épée les Beni-Demmer, les Matmata et [les populations du] Mont-Nefouça. Il poussa même jusqu'au Soueica des BeniMetkoud, peuplade dont il emmena les chefs à Tunis pour les présenter à En-Nacer.

Ce monarque, voyant la campagne heureusement terminée, se disposa à rentrer en Maghreb et à donner le gouvernement de l'Ifrîkïa au grand cheikh de l'empire, Abou-Mohammed, fils d'Abou-Hafs. Il lui fallut, cependant, employer les instances les plus pressantes pour le décider à accepter cette haute position; il dut même envoyer son fils Youçof auprès de lui comme solliciteur. Profondément touché d'une telle marque de condescendance, Abou-Mohammed se conforma enfin à la volonté du khalife; mais il stipula d'avance qu'il ne serait pas obligé de rester en Ifrîkïa plus de trois ans, espace de temps, disait-il, suffisant pour rétablir la prospérité du pays. Il exigea aussi que les troupes qui resteraient en Ifrikïa fussent entièrement à ses ordres. En-Nacer accorda ces deux conditions et partit pour sa capitale.

Rentré à Maroc, en Rebia 604 (oct.-nov. 1207), il nomma Abd-el-Azîz-Ibn-Abi-Zeid-el-Hintati ministre des finances pour l'Espagne et pour l'Afrique; quant au vizirat, il y conserva Abou-Said-Ibn-Djamê, ami de ce même Abd-el-Azîz 2.

1 Voy, ci-devant, p. 103, note 2.

2 Le texte arabe porte: ami du fils d'Abd-el-Azîz.

Quelque temps après son retour, il apprit la mort du cîd Abou-'r-Rebiâ, fils d'Abd-Allah-Ibn-Abd-el-Moumen et gouverneur de Tlemcen et de Sidjilmessa, ainsi que celle du cîd Abou'l-Hacen, fils d'Abou-Hafs-Ibn-Abd-el-Moumen et gouverneur de Bougie. Ce fut Abou-'r-Rebiâ, prédécesseur de celui-ci, qui restaura le Refiâ et le Bediâ, jardins dont les Hammadites avaient orné la ville de Bougie et qui étaient tombés en ruine.

En l'an 605 (1208-9), En-Nacer fit choix du cîd Abou-AmranIbn-Youçof-Ibn-Abd-el-Moumen pour remplacer le cîd Abou'l-Hacen, à Tlemcen. Le nouveau gouverneur se rendit à sa destination avec une armée almohade, et il s'était mis à en parcourir les campagnes, quand il fut attaqué par Ibn-Ghanîa. Dans cette rencontre, les Almohades essuyèrent un revers et Abou-Amran y perdit la vie. Les habitants de Tlemcen furent consternés de ce désastre, mais le cîd Abou-Zékérïa arriva de Fez en toute hâte et calma leurs appréhensions. Abou-Zeid-Ibn-Youwoddjan, auquel En-Nacer confia alors le gouvernement de cette ville, y fit son entrée à la tête d'une armée; aussi, Ibn-Ghanîa s'enfuit jusqu'au fond de l'Ifrîkïa, son lieu de retraite ordinaire, emmenant avec lai Mohammed-Ibn-Masoud-el-Bolt, cheikh des Douaouida, et une troupe d'Arabes nomades, les uns rîahides et les autres soleimides. Un corps almohade, commandé par le cheikh Abou-Mohammed, fils d'Abou-Hafs, attendit ces bandes au passage et leur enleva tentes et bagages. Quand les fuyards eurent atteint la province de Tripoli, Sîr-Ibn-Ishac [-Ibn-Ghanîa] les quitta et passa aux Almohades.

Cette même année, En-Nacer donna le gouvernement de Maïorque à Abou-Yahya, fils d'Abou-'l-Hacen-Ibn-Abi-Amran, en remplacement du cîd Abou-Abd-Allah-Ibn-Abi-Hafs, nommé gouverneur de Valence. Il remplaça aussi Abou-'l-Hacen-IbnQuaggag, gouverneur de Murcie, par Abou-Amran-Ibn-Yacînel-Hintati, et Abou-Mouça-Ibn-Abi-Hafs, gouverneur du district de Jaen, par le cîd Abou-Zeid. Il confia, en même temps, le gouvernement de Séville au cîd Abou-Ibrahim-Ibn-Youçof, et celui de Grenade à Abou-Abd-Allah, fils d'Abou-Yahya et petit-fils du cheikh Abou-Hafs.

EN-NACER ENTREPREND LA GUERRE SAINTE.

En-Nacer, apprenant que les chrétiens s'étaient emparés de plusieurs forteresses [aux environs] de Valence, en ressentit de vives inquiétudes et s'adressa, par écrit, au cheikh Abou-Mohammed le hafside, pour avoir son avis sur la nécessité de recommencer la guerre sainte. Bien que la réponse de ce chef fut défavorable au projet, En-Nacer quitta Maroc, l'an 607 (1210-1), et, s'étant rendu à Séville, il y établit son quartier général et fit ses préparatifs pour entrer en campagne. Après avoir envahi le territoire du fils d'Alphonse, il prit le château de Salvatierra; mais, trouvant ensuite que la neige avait bloqué le chemin qu'il s'était proposé de suivre, il laissa au roi chrétien le temps de faire le siége de Calatrava. Youçof-Ibn-Cades, le commandant de cette place, se vit enfin réduit à une telle extrêmité, qu'il dut la remettre à l'ennemi pour obtenir une suspension des hostilités 1. Etant ensuite allé se présenter devant En-Nacer, il fut mis à mort par l'ordre de ce monarque.

En-Nacer conduisit alors son armée à El-Ocab2, localité où le roi chrétien, soutenu par le roi de Barcelonne, se tenait prêt à le recevoir. Dans cette rencontre, qui eut lieu vers la fin du mois

1 Ea parlant de la prise de Calatrava, El-Merrakchi dit : « Alphonse >> se vit alors abandonner par un grand nombre d'Européens (roum), » parce qu'il les empêcha de tuer les musulmans qui étaient dans la » forteresse. Eu le quittant, ils lui dirent: Tu nous a fait venir ici pour >> prendre des villes et tu nous empêches de piller et de faire mourir >> les musulmans. Donc, nous n'avons pas de motifs pour rester avec > toi. »> Dans Ferreras, nous lisons que les Ultramontains (c'est-àdire les Français), formant une armée de dix mille maîtres et de quarante mille fantassins, abandonnèrent les Espagnols parce qu'on n'avait pas livré Calatrava au pillage.

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2 El-Ocab ou Hisn-el-Ocab (château de l'Aigle) est appelé, dans le Cartas, Hisn-el-Ocban (château des Aigles). El-Merrakchi écrit ce nom El-Eicab, mot qui signîfie punition. Les chrétiens désignent cette

bataille par le nom de bataille de las Navas.

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de safer 609 (juillet-août 1242)^, les musulmans essuyèrent une défaite totale, après y avoir déployé la plus grande bravoure, et

1 Cette bataille se livra le 45 Safer (17 juillet), selon l'auteur du Cartas; le lundi, 15 Safer, selon El-Merrakchi; le 16 juillet, selon les auteurs chrétiens.

2 El-Merrakchi dit que la perte de cette bataille doit être attribuée au mécontentement des troupes almohades qui n'avaient pas touché leur solde pendant toute cette campagne, bien qu'elles y avaient droit tous les quatre mois. « Plusieurs d'entre eux m'ont assuré, dit-il, que pas un » d'eux ne tira l'épée ni mit lance en arrêt; qu'ils ne firent aucun pré» paratif et qu'ils tournèrent tous le dos à la première charge des » Francs, et cela avec intention. »

Ibn-Abi-Zerâ, l'auteur du Cartas, donne de longs détails sur cette campagne. Selon lui, En-Nacer entreprit d'abord le siége de Serbetera (Salvatierra), mit quarante catapultes ou mangonneaux (mendjanec) en batterie pour foudroyer la place, et il y resta si longtemps que des hirondelles firent leurs nids et élevèrent leurs petits dans son pavillon. L'hiver commença, le froid devint excessif, les approvisionnements du camp s'épuisèrent et le sultan ne bougea pas. Il s'était laissé diriger par son vizir Ibn-Djamê, homme de basse naissance, qui le tenait en une ignorance complète de tout ce qui se passait ailleurs et qui lui cacha surtout l'état dans lequel se trouvait la ville de Calatrava. IbnCadès, l'officier maure-espagnol qui y commandait, eut beau envoyer demander des secours, le vizir supprima ses lettres et permit aux chrétiens de se rendre maîtres de la place. Ibn-Cadès capitula, après avoir épuisé ses vivres et ses flèches, et se rendit au camp d'En-Nacer qui le fit mourir d'après le conseil d'Ibn-Djamê. Les troupes mauresespagnoles qui se trouvaient avec le sultan en furent indignées, et, comme Ibn-Djamê les avaient publiquement insultées, elles prirent la résolution de se venger : au jour de la bataille d'El-Ocab, elles laissè-rent tailler en pièces le corps des volontaires qui avaient donné sur les chrétiens. Voyant alors l'ennemi s'avancer, elles reculèrent en désordre et opérèrent leur retraite. Les contingents arabes et les troupes almohades suivirent leur exemple. Les Almohades, surtout, évitèrent le combat parce qu'ils n'avaient pas touché leur solde pendant toute la campagne, eux qui avaient le droit d'être régulièrement payés tous les quatre mois. D'ailleurs, ils voulaient témoigner ainsi leur haine contre Ibn-Djamê dont les manières hautaines et le ton insolent les avaient profondément offensés. Le sultan resta sur le champ de bataille, assis sur son bouclier, devant la porte de sa tente, et il ne se décida à prendre un cheval et à se retirer qu'après avoir vu tuer plus de dix mille hommes du corps nègre et de sa maison militaire qui faisaient cercle autour de lui.

T. II.

45

En-Nacer s'en retourna à Maroc où il mourut, l'année suivante, dans le mois de châban (déc.-janv. 1213–4) 1.

Le fils d'Alphonse s'était concerté secrètement avec son cousin Bebboudj, roi de Léon, afin que celui-ci, après avoir pris le parti d'En - Nacer, l'abandonnât à l'improviste pour entraîner ainsi la déroute des musulmans. A la suite de cette bataille désastreuse, les vainqueurs envahirent l'Andalousie, avec l'intention de ravager le territoire musulman; mais le cîd Abou-Zékérïa, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen, les attaqua aux environs de Séville et les força à s'éloigner. Ce succès releva, pour quelque temps, le courage des musulmans.

RÉVOLTE D'IBN-FERÈS.

Il y avait en Espagne un membre du corps des uléma, nommé Abd-er-Rahîm-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-Ferès (fils de jument) et surnommé El-Mohr (le poulain). Cet homme ayant un jour tenu des propos inconsidérés dans une assemblée présidée par El-Mansour, fut obligé de se cacher pour éviter les suites de son imprudence. Après la mort de ce monarque, il se montra dans le pays des Guezoula, où il prit le titre de grand imam des musulmans, en prétendant qu'il était le Cahtanide dont il est question dans cette parole du Prophète béni : La [dernière] heure [du monde] n'arrivera pas jusqu'à ce qu'un individu sorte de Cahtan pour conduire les hommes avec son bâton et pour rem

El-Merrakchi dit : « On nous a raconté la mort d'En-Nacer de >> plusieurs manières, mais je tiens pour certain qu'il mourut d'une > inflammation de cerveau. >> Selon l'auteur du Cartas, En-Nacer étant rentré à Maroc, resta enfermé dans son palais et s'abandonna aux plaisirs. Il mourut subitement, après avoir bu une coupe de vin em poisonné qu'une de ses concubines lui présenta. Cette femme avait été subornée par quelques vizirs dont la mort venait d'être décidée par le sultan.

Ce fait n'est pas indiqué par les auteurs chrétiens.

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