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En decà de ce groupe important se détache, sur une petite éminence, un îlot d'une douzaine de têtes, Djezira (ile) ben Trach, arrosé, me dit-on, par un puits artésien très ancien dont l'eau est excellente.

Ici encore il est très facile de se rendre compte de l'exhaussement constant et régulier du sol dans les lieux cultivés et d'en déduire comment les dunes peuvent se former rapidement dans les jardins abandonnés :

Lorsque les deux puits artésiens appelés Aïn Béida et Ben Trach furent creusés, il y a peut-être un siècle, le sol évidemment était partout uni, car il est de règle élémentaire que les nègres ne s'amusent point à creuser un monticule isolé pour avoir le plaisir de faire jaillir l'eau à son sommet; comme ces puits, toujours bien soignés, n'ont jamais cessé d'entretenir une grande humidité dans le sol que leurs eaux fécondent, les sables charriés par les vents s'y sont arrêtés de préférence et y ont été fixés par ladite humidité; comme, d'autre part, les jardins n'ont jamais cessé d'être cultivés, les dunes n'ont pu s'y former et, au lieu d'un amoncellement informe de sable mouvant, il n'y a eu qu'un exhaussement lent et régulier du sol, produit par le mélange du sable et de l'humus.

Dans la forêt clairsemée qui longe la rive droite du chotth, au contraire, où nous verrons tout à l'heure le campement des Châamba, les palmiers sont plantés sans soin, sans ordre, sans canaux d'irrigation; comme je l'avais déjà remarqué à El Hadjira, sur la route. d'Ouargla à Rouissat, et aux ruines de Ceddrata, de grosses veines de sable se sont entassées entre les palmiers dont beaucoup sont aux trois quarts ensevelis.

Il est évident que, si l'âïn Béida et la source de Djezira ben Trach cessaient de couler, ou si seulement les jardins qu'elles fécondent n'étaient plus entretenus, les monticules à palmiers dont ces sources jaillissent ne tar

deraient pas à se transformer en deux grosses dunes de sable sous lesquelles se perdraient les eaux; et à ces dunes, les palmiers eux-mêmes, vite ensevelis, assureraient une grande solidité.

Derrière les palmiers arrosés par l'âïn Béida s'élève une petite zaouïa habitée par quelques marabouts appartenant à l'ordre des Khouann de Sidi Abd-er-Rahhmann, dirigé par Sidi Mouçthafa ben Azzouz 1, ordre qui ne possède ici qu'un très petit nombre d'affiliés.

A mesure qu'on avance à travers les plantations des nomades, on distingue très bien, à travers les palmiers, dans les endroits qui ne sont pas recouverts par les sables, les fondations d'un grand village détruit lors de l'invasion des Arabes hhilaliens.

A ce point, on se trouve sur la pente et au pied du plateau qui forme la rive droite de la vallée et du chotth d'Ouargla à droite, c'est-à-dire du côté du sud, dans la direction du ksar de Rouissat, les bords de ce plateau sont formés de roches calcaires mises à nu par la désagrégation de la carapace de grès tendre qui les recouvrait autrefois; à gauche, c'est-à-dire vers le nord et dans la direction de la zaouïa de Sidi Khouil, le rebord du plateau est couvert de hautes dunes que domine le gros ghourd de Meqcem Othinn dont il a été question au chapitre IV. Du sommet pointu de ces dunes, de longues veines descendent dans la vallée qu'elles menacent d'envahir de leurs rameaux multiples; elles enlacent déjà les palmiers des noinades.

C'est sur les pentes de cette rive droite, à travers ces palmiers clair-semés et ces veines de sable, qu'est établi le camp des Châamba, rentrés depuis peu du désert, où

1 Pour les ordres religieux dans le Sahara, voyez le Sahara, 1" partie, chapitre IV.

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Jardins abandonnés envahis par des dunes. Vue prise près de Touggourt, d'après une photographie de l'auteur.

ils ont laissé le gros de leurs troupeaux sous la garde de quelques bergers.

Les tentes sont disposées par groupes de deux, trois ou quatre, suivant l'importance des familles ou leur degré de fortune.

Quelques maigres chameaux, épuisés par le manque de pâturage, ruminent silencieusement, couchés sur le ventre, les jambes repliées sous leur corps et les genoux attachés; ils servent au transport de l'herbe qu'on va chercher dans les lieux sablonneux, pour nourrir les troupeaux de chèvres et de brebis dont le lait sert à la nourriture de la famille.

Des hommes, couchés isolément sur les veines de sable, à l'ombre des palmiers, semblent dormir les yeux ouverts, ou fument gravement de mauvais tabac sauvage dans des tibias de mouton qui leur tiennent lieu de pipe et dont l'odeur de roussi se répand au loin; d'autres, par groupes, causent en gesticulant de toutes leurs forces comme pour donner plus d'expression à leurs paroles; des gamins, les plus grands se battent ou grimpent sur les arbres et sur les chameaux; les plus petits tètent les chèvres, qui se laissent faire patiemment, tandis que des hommes redressent leur tente qu'un chameau détaché a renversée, en cassant ses cordes, sur deux ou trois femmes qui se débattent en poussant des cris de détresse.

Des femmes de tout âge et de toute nuance, de la beauté parfaite à la laideur horrible, des jeunes filles très jolies aux grands yeux noirs amoureux, vont à l'eau ou en reviennent par groupes, courbées en avant, la peau de bouc sur les reins, ce qui leur donne, de loin, une certaine ressemblance avec ces jeunes chameaux qui, au crépuscule, reviennent en troupes de l'abreuvoir.

On a dû se lessiver à la rentrée du Désert; je constate,

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