ditionnels, à de nouveaux désastres. Encouragés par la Porte, désireuse de profiter du désordre pour abolir les derniers vestiges de l'autonomie libanaise, soutenus secrètement par l'Angleterre, jalouse de la prépondérance acquise par la France dans le Levant, des Druses s'armèrent et le sang recommença à couler. Dès la fin de 1859, se manifestaient partout les symptômes précurseurs d'un mouvement anti-chrétien. Ce mouvement éclata au printemps de 1860. Dans les derniers jours d'avril et pendant le mois de mai les Druses assaillirent les Maronites et massacrèrent sans pitié tous ceux qu'ils purent atteindre. Les villages furent incendiés jusqu'au voisinage de Beyrouth, les villes de Hasbeya et de Racheya sacragées. Les survivants recueillis sur la côte par des navires français furent transportés à Beyrouth, blessés pour la plupart et manquant de tout. Bientôt le mouvement se propagea jusqu'à Damas, où de nombreux chrétiens furent également égorgés (1). Ces atrocités connues en Europe y provoquèrent une émotion générale. Napoléon III, en sa qualité de protecteur des chrétiens d'Orient, en particulier des Maronites, détermina les grandes puissances à adresser des remontrances à la Porte, puis obtint, malgré la mauvaise volonté de l'Angleterre, l'autorisation d'envoyer un corps expéditionnaire « pour contribuer au rétablissement de J'ordre en Syrie ». (Convention du 5 septembre 1860). Mais, avant même que les conversations diplomatiques fussent terminées, des particuliers avaient de nouveau proposé le transport des Maronites en Algérie comme le meilleur moyen de sauver ce malheureux peuple d'une destruction totale. Dès le 24 juillet 1860, en effet, la comtesse Clémence de Corneillan-Lajoukaire, chanoinesse honoraire du (1) C'est à cette occasion que se produisit l'intervention d'Abdel-Kader, qui ouvrit sa maison aux chrétiens et les défendit avec Je concours de ses serviteurs algériens. chapitre royal et protestant de Prusse, invitait le ministre de la Guerre à placer les Maronites dans ceux des villages algériens où la main-d'oeuvre européenne faisait défaut. Ce qui serait en réalité un acte de haute humanité, écrivaitelle, deviendrait aussi, je le crois fermement, un acte important d'économie politique, une source féconde de prospérité et d'accroissement de richesses (1). Et la chanoinesse, qui n'a pas oublié ses origines, voit dans le geste de l'empereur offrant asile aux Maronites victimes de la persécution religieuse, une sorte de réparation des conséquences désastreuses de la Révocation de l'Edit de Nantes. Les émigrations qui suivirent jadis la révocation de l'Edit de Nantes ruinèrent en partie notre patrie; l'histoire l'a constaté. La naturalisation en Algérie des chrétiens de Syrie balancerait ce douloureux souvenir en amenant un résultat inverse (2). Le gouvernement français demeura insensible à ces considérations économico-mystiques. Le ministre de la Guerre invoqua une fois de plus « les considérations d'ordre élevé qui avaient fait écarter les projets analogues et l'affaire fut classée (3). Non moins infructueux furent les efforts d'un algérien, Vayssettes (4) qui, en 1860, publia sur le même sujet une brochure assez étendue intitulée: Sauvons les Maronites par l'Algérie et pour l'Algérie. Solution provisoire de la question d'Orient (5). (1) La Comtesse de Corneillan-Lajoukaire au Ministre de la Guerre. (2) Ibd. (3) Le Ministre de la Guerre à la comtesse de Corneillan. 11 août 1860. (4) Auteur de l'Histoire de Constantine. Une (5) Alger (Bastide), Paris (Challamel) 1860, 8°, 64 p. autre brochure sur le même sujet Situation des Maronites en 1860, Alger, 1860 (8°) est mentionnée par Playfair. Bibl, of. Algeria no 2271. Nous n'avons pas pu nous la procurer. L'auteur expose dans cet ouvrage les avantages que présenterait la transplantation des Maronites sur le sol algérien au triple point de vue de la politique, de l'huma nité, de la colonisation »>. Au point de vue politique, l'émigration maronite constituerait, croit-il, la seule solution rationnelle du problème syrien. L'organisation d'une vice-royauté confiée à Abd-el-Kader renforcerait de façon dangereuse l'élément musulman; la proclamation du protectorat français exigerait des expéditions quasi-périodiques ou l'occupation permanente du pays par des forces soit françaises soit internationales; la création d'un Etat chrétien indépendant équivaudrait au démembrement de la Turquie, solution contraire aux principes posés en 1856. L'émigra- ' tion de la population chrétienne supprime toute difficulté. La Turquie n'a pas le droit de s'y opposer: si elle tentait de le faire la France et les puissances signataires du traité de Paris seraient en droit de lui rappeler qu'elle n'a pas tenu ses engagements à l'égard des populations non musulmanes de l'Empire. «Rien donc, dans la sphère de ce qu'on appelle la raison d'Etat, conclut Vayssettes, ne saurait s'opposer à cette immigration en masse des Maronites en Algérie. » (1) L'humanité, d'autre part, commande cette mesure. Le récit des atrocités commises par les Druses et les Turcs suffit à le démontrer. : La colonisation, enfin, bénéficiera largement de cette immigration. Plus que jamais l'Algérie manque de bras. La mise en valeur du sol est retardée par la pénurie de travailleurs sur 30 millions d'hectares, 2.600.000 seulement sont occupés, dont un tiers à peine est exploité (2); la construction des chemins de fer, qui vient d'être décidée exige aussi de nombreux ouvriers. L'arrivée d'une population laborieuse, adaptée au climat, apte au (1) Vayssettes, op. cit., p. 27. (2) Ibd., p. 47. commerce à l'égal des Juifs rendra les plus grands services. Les Maronites propageront les cultures industrielles, joueront le rôle d'intermédiaires entre les Européens et les indigènes et deviendront même « des auxiHaires précieux dans nos transactions avec les peuples de l'Afrique centrale » (1). Mais comment les installer en Algérie ? Pour Vayssettes le système de la concession gratuite est seul applicable. Les sacrifices pécuniaires consentis de ce chef ne seront pas supérieurs à ceux qu'ont exigé l'installation des premiers colons et surtout l'établissement des colons parisiens en 1848. Sur ce point les idées de Vayssettes se rapprochent de celles de Baudicour et du duc d'Aumale. Elles en diffèrent en ce que, contrairement à ses prédécesseurs, il ne songe pas à organiser les Libanais en <«< smalas » ou en « goums ». Il voudrait les grouper en « compagnies de travailleurs ». (( Tout guerriers qu'ils sont, assure notre auteur, ils préfèreraient encore s'enrégimenter sous la bannière du travail que sous le drapeau des batailles, surtout s'ils y trouvaient une rémunération suffisante et, ici, l'Etat pourrait largement la leur donner, car il y aurait pour lui tout profit (2). Astreints au service pour une durée de cinq ans, ils seraient employés au défrichement des terres incultes. Leur service achevé, ils recevraient une portion du sol mis en valeur par leur travail. Le reste serait vendu au profit de l'Etat. Vayssettes pense même que les indigènes, surtout parmi les Kabyles, demanderaient à s'enrôler dans des compagnies de ce genre. L'Etat, ne prenant à sa charge que les ouvrages d'art aurait ainsi le moyen de mettre à peu de frais de vastes territoires à la disposition de l'agriculture. Cette expérience, enfin, aurait peut-être des conséquences d'une portée supérieure aux résultats (1) Ibd., p. 40. (2) Op. cit., p. 44. immédiatement obtenus. Peut-être fournirait-elle des indications qui permettraient la transformation ultérieure du service militaire et la substitution aux armées de soldats d'armées de travailleurs (1). Ce ne sont là toutefois que des anticipations, sinon des utopies. Revenant à la réalité, Vayssettes examine comment il conviendrait de placer les Maronites sur le sol algérien. I recommande de les réunir, autant que possible, dans des villages, sans interdire cependant à ceux qui préfèreraient un autre mode d'existence, de se mettre comme colons partiaires, fermiers ou ouvriers au service des grands propriétaires auxquels ils procureraient une main-d'œuvre moins coûteuse que la main-d'œuvre européenne. Les adversaires de l'émigration maronite ont, il est vrai, soulevé de nombreuses objections. Vayssettes les reprend, mais pour les réfuter. Qu'on ne prétende pas, par exemple, que la différence de religion empêchera Maronites et Arabes de vivre en bonne harmonie. Le fanatisme musulman a cessé d'être redoutable et la France est assez forte pour imposer l'obéissance à quiconque tenterait de susciter des désordres (2). L'accroissement de l'élément étranger est, d'ailleurs, une garantie de tranquillité pour l'Algérie ; plus il sera considérable et mieux la pacification sera assurée. On redoute, d'autre part, que l'autorité épiscopale ne voie d'un mauvais il l'arrivée des Syriens. Crainte illusoire, car si les Maronites ont une liturgie et une discipline différentes de celles des Occidentaux, ils n'en appartiennent pas moins à la communion catholique (3) .On soutient encore que l'attitude des Maronites au cours des derniers événements de Syrie 44 bd., p. 46. (2) Ibd., p. 49. (3) Ibd. |